Nolan est un putain de génie ! Voilà, c'est dit ! Bon, je ne vais pas m'en cacher, j'étais déjà plutôt convaincu par son cinéma, et ce avant même de voir
Dunkerque. Mais avec sa dernière production, il m'a mis une grosse claque. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi; je préviens d'avance, il va y avoir énormément de spoil (pas toujours entre balises) dans ce qui va suivre car pour comprendre pourquoi ce film est, à mes yeux, un petit bijou, je vais devoir m'attarder sur des scènes, des détails, qui en font une grande oeuvre.
Quand j'étais môme, je "fantasmais" devant la vidéothèque de mon oncle; chacune de ces cassettes était impeccablement rangée dans sa boite en plastique supportant une jaquette préalablement découpée dans un magazine. Et sur ces fameuses jaquettes, à la rubrique catégorie, des films comme
Le Jour le plus long ou
Un pont trop loin étaient classés comme "drame de guerre". Je trouve que cette appellation colle parfaitement à Dunkerque ! Dunkerque n'est pas un film de guerre, il ne peut pas l'être ! Imaginez donc; il n'y a aucun combat, aucune bataille... et plus grave encore, l'ennemi n'est jamais montré ! Un film sur la seconde guerre mondiale sans que l'on aperçoive l'ombre d'un uniforme allemand, c'est déjà, je trouve, une belle audace. Ce n'est pas pour autant que l'on oublie sa présence; dans de remarquables séquences (l'attaque des Stukas, le U-boat), on assiste, impuissant, à la démonstration de sa terrible force, et c'est ce sentiment de vulnérabilité face à un ennemi invisible et invincible, qui nous met de facto dans la même position de fragilité, de désespoir, que la poignée de soldats anglais que nous suivons. L'immersion est d'autant plus efficace qu'à aucun moment nous ne connaîtrons l'identité des protagonistes principaux; nous sommes un anonyme parmi des milliers d'autres, chacun tentant de s'en sortir face à la faucheuse qui frappe au hasard. Il y a une telle absurdité dans le choix des "victimes" que chaque minute nous laisse à penser que l'on pourrait être le prochain; ceux qui croyaient être sauvés ne le seront peut être pas, ceux qui pensaient être condamnés s'en sortiront peut être. Il n'y a aucune certitude et cela met le spectateur dans un inconfort très immersif.
Drame de guerre disais je, mais il serait plus juste de parler de drame
S de guerre. Passé dix premières minutes un peu quelconques, et non dénuées d'erreurs grossières (j'y reviendrai dans les défauts du film car il n'en est pas exempt), Nolan transgresse allègrement la règle des trois unités (action, temps, lieu). Trois histoires, trois éléments (la terre, la mer, les airs), trois temporalités différentes, et plutôt que de nous livrer un récit chronologique qui aurait forcément connu des longueurs, il fait le choix de tout éclater, de ne garder que la substance dramatique, et de tout entremêler pour nous livrer une fresque haletante où chaque minute est un pas vers la vie... ou la mort ! Il joue très intelligemment avec nos perceptions, sautant d'un protagoniste à un autre, laissant ses personnages dans une impasse pour coller un autre groupe dans une autre et l'y abandonner, et ceci pendant tout le film (qui a le mérite de ne durer qu'1h40, ce qui est à mon sens juste parfait pour l'exercice, évitant toute redondance ou situations artificielles pour rallonger la pellicule). Il se dégage de tout ceci une tension qui prend véritablement aux tripes, d'autant plus qu'il multiplie les trompes l'oeil, changeant l'angle d'une scène et apportant ainsi un regard totalement différent sur les événements.
Les transitions ne sont pas laissées au hasard; il y a souvent un dénominateur commun permettant de passer d'une scène à l'autre sans perdre le spectateur et en maintenant la tension précédemment décrite. Nolan disait s'être inspiré du cinéma muet (et il est vrai que Dunkerque est avare en dialogue, ce qui n'est pas pour me déplaire) pour apprendre à jouer sur les détails; cela se ressent dans cette façon de dire beaucoup avec très peu.
La mort est ainsi esthétisée mais n'en est pas moins prégnante. Prenant le contre pied total d'un
Il faut sauver le soldat Ryan, il n'y a pas ici de corps déchiquetés, de tripes à l'air. Non, Dunkerque, lui, joue sur la suggestion; une main qui disparaît dans les ténèbres des flots, un plan sous-marin d'une mer transformée en flammes sous l'effet d'une nappe de mazout, ou encore l'écho du cri des marins prisonniers d'un navire en train de couler... autant de scènes fortes où Nolan cherche à attirer bien plus que notre oeil.
L'occasion de parler du travail fait sur le son. C'est bien simple; je pense que le film doit perdre 75% de sa force sans la qualité de ses effets sonores. Jamais la sensation d'avoir les balles qui nous sifflent aux oreilles n'a été aussi grande. Le hurlement des Stukas attaquant en piqué, le sifflement des torpilles ou encore le crachement des mitrailleuses du Spitfire avec ce bruit métallique caractéristique quand il fait mouche... autant de sensations qui restent gravées dans la mémoire au delà des images. Je suis en revanche un peu plus réservé sur la prestation de Hans Zimmer. La musique est omniprésente et pourtant facilement oubliable. Si l'absence d'envolée lyrique comme il aime à le faire sert le propos (celui d'un récit très humain, sans grande figure héroïque), si ses arrangements touchent parfois au génie (quand sa musique se mêle à la sirène des Stukas, renforçant l'effet de terreur qu'avaient ces avions quand ils plongeaient sur leur proie), l'ensemble ne marquera pas les esprits.
Il y aurait encore tant de choses à dire, tant de scènes à analyser...
… mais je vais quand même revenir sur les défauts du film, car il en a, au rang desquels le choix de Nolan de tourner au maximum dans des décors naturels et avec des figurants. Si ce retour au cinéma "à l'ancienne" est respectable, il provoque aussi quelques incohérences.
Ainsi, les dix premières minutes du film, les plus faibles, seront les seules où l'on verra les rues de Dunkerque. Sauf que ces rues sont celles de la Dunkerque actuelle ! Aucun effort n'a été fait pour leur donner une patine historique et il s'en dégage une impression de ville trop propre, loin de ce qu'elle devait être en temps de guerre. Beaucoup plus embêtant, une séquence sur la plage où l'on aperçoit en arrière plan des maisons modernes; même sans être historien, même sans connaître la topographie locale, cela saute aux yeux et cela fait tâche dans une production de cette ampleur. Enfin, ces anachronismes se retrouvent encore dans le dernier plan aérien (celui du Spitfire survolant la plage) où l'on aperçoit des immeubles modernes (même ma conjointe s'en est aperçue). Quelques retouches numériques n'auraient quand même pas été de trop pour le coup.
De même, le numérique aurait pu venir combler ce sentiment de vide que l'on ressent parfois sur les plans larges de la plage. Malgré l'emploi de 4.000 figurants, on n'a jamais le sentiment que 400.000 hommes attendent d'être embarqués. C'est à la fois une force du film (on est là pour suivre une poignée d'individus, pas une armée) et une faiblesse; certaines scènes donnent le sentiment d'un groupe de rôlistes faisant un grandeur nature historique sur la plage de Dunkerque (sentiment renforcé par la présence de bâtiments modernes).
Enfin, l'arc narratif sur le "petit bateau" parti d'Angleterre pour aller secourir les soldats à Dunkerque est un peu plus faible que les deux autres, même si il montre la maîtrise de Nolan pour le huis clos et prend un peu d'épaisseur avec l'arrivée de Cillian Murphy, qui a vraiment une "gueule" bien à lui (ce n'est pas péjoratif).
Reste que Dunkerque n'en est pas moins un film puissant, fresque humaine plutôt qu'historique ou héroïque, se gardant de tout triomphalisme et bourré d'ingéniosité. Oui, il n'est probablement pas l'hommage que certains auraient voulu rendre à l'événement ou un film de guerre à même de révolutionner le genre. Il s'inscrit plutôt dans la lignée de ces films pour lesquels la guerre n'est qu'une toile de fond pour s'interroger sur la nature humaine. Il n'en est pas moins dénué de scènes spectaculaires (la photographie aérienne est splendide), mais ce n'est clairement pas sa vocation première; il faut avoir cela à l'esprit sous peine d'être déçu.
Note: Juste un petit mot sur la polémique que j'ai vu paraître dans certaines critiques ou sur internet concernant le traitement réservé aux français (ou plutôt, l'absence de traitement). A mes yeux, cette polémique est juste inutile et lancée par des gens qui n'ont pas dû voir le même film que moi. Comme je l'ai dit, Dunkerque n'est pas un film de guerre et encore moins un film sur la bataille de Dunkerque qui fut menée par les français. A partir de là, il aurait été totalement incohérent de s'attarder sur le rôle de notre armée qui, à mon sens, bénéficie déjà d'un bel hommage dans l'une des premières scènes (ce sont nos piou-pious qui tiennent la barricade en ville pendant que l'anglais fuit lâchement).
Le film n'exonère aucunement la responsabilité des anglais dans l'abandon des troupes françaises, et c'est souligné à plusieurs reprises:
Enfin, dernier élément et non des moindres...
Cela ne me semble pas être une insulte à notre drapeau (comme j'ai pu le lire) et montre simplement que dans la galère, tout le monde est humain et veut s'en sortir. D'ailleurs, l'un de ses "adversaires", anglais de surcroît, ne dit il pas: "
la survie, c'est une question d'égoïsme !" (encore d'ailleurs une très belle scène où celui que l'on pourrait considérer comme le "héros" ne l'est pas tant que ça).