Chapitre 7 : Les larmes de l'échec ( C/R du 03/10/2014 )
Vu d’ici, Netholm semble tout droit sortie d’une des histoires que jouait la troupe de marionnettistes où j’ai grandi : Notre radeau glisse dans un silence absolu sur une eau lisse et noire comme un miroir d’obsidienne. Même les nains ont cessé leurs invectives perpétuelles. La voute rocheuse s’élève tellement haut qu’elle disparait dans les ténèbres, hors du rayon rassurant de nos sorts de lumière. Devant nous, suspendu hors du temps et hors du monde, un village fait de bric et de broc. Bâti sur des pilotis, le village des mongrels est à leur image : anarchique... chaque habitation est un mélange de plusieurs styles. Des huttes en pierre côtoient des cabanes de bois, de mousse, ou d’autres matériaux rejetés ici par la surface. Elles sont reliées entre elles par des ponts de singes et autres passerelles, lesquels convergent vers un banc de sable central ou se trouve un large promontoire en pierre grise. La lumière et les faibles reflets jetés par les braseros de mousse sur le lac achèvent de rendre l’endroit fantomatique au possible.
Nos hôtes échouent le radeau sur un banc de sable et nous guident vers la place centrale aperçue plus tôt. Notre passage suscite la curiosité de toute la communauté ; De toutes les cahuttes, nous voyons des têtes difformes sortir pour nous dévisager comme des bêtes curieuses. Des enfants aussi différents de nous qu’ils le sont les uns des autres se regroupent en bandes et nous suivent, chuchotant les uns et aux autres, poussant tantôt un cri effrayé, tantôt un soupir d’émerveillement. Ainsi, quand nous arrivons sur le promontoire, nous sommes entouré d’une troupe d’une cinquantaine de mongrels de tous poils, plumes et écailles. Au bout de quelques secondes, le silence se fait, la foule répondant à un invisible signal. La porte de la plus grande des huttes, une des rares construite en pierre s’ouvre, et s’en extrait un être immense : S’il a un jour été humain, ce jour est maintenant loin derrière lui... La créature, qui nous dépasse tous de deux têtes, s’apparente à un croisement entre un cube gélatineux et un gobelin lépreux. Son corps n’est un amas de renflements, de plis et de bourrelets adipeux d’où sortent deux bras atrohpiés et à peine mobiles. Ses jambes sont, quant à elles, enfouies sous la masse. Son visage, dissymétrique, est dominé par un œil laiteux, des petites dents pointues et de nombreuses cicatrices. Pourtant, malgré sa repoussante laideur, un seul regard du Chef Sull et toute sa tribu se tait et lui ouvre le passage comme les plus disciplinés des croisés. Il s’adresse à nous dans une voix puissante et caverneuse et nous expose rapidement sa vision des choses, appuyée par 50 mongrels en armes et griffes nous encerclant. Il est en guerre contre les nains des profondeurs, dont nous détenons un spécimen. Comme dans toute guerre, il n’y a que deux camps : les amis... et les nains. Il n’a aucune utilité de voyageurs et considère que nos vies lui appartiennent, ici, tant que nous ne les aurons pas rachetées en tuant autant que nains que nous sommes. Notre prisonnier, lui devra mourir de notre main pour prouver notre innocuité vis-à-vis de sa communauté. L’atmosphère se tend instantanément, et, si je sens le paladin bouillonner, c’est le barbare qui m’inquiète le plus... Il a l’air prêt à en découdre avec la communauté entière des mongrels pour sauver notre prisonnier et ne pas s’en prendre aux nains. Je vois les veines et son cou gonfler et ses muscles se crisper. J’évalue rapidement nos chances... Ils sont 50... Nous sommes 4. Leurs armes sont rudimentaires et leur communauté compte plusieurs enfants, mais le rapport de force et par trop inégal... S’il attaque, nous serons submergés par le nombre. Je prends la parole et essaie de négocier avec le chef Sul, qui a deviné mon trouble. Plus le temps passe et plus il devient évident que la masse graisseuse du Chef Mongrel cache une plus grande force que je ne le pensais au premier abord. J’essaie de négocier notre départ sans s’impliquer dans leur guerre. Il refuse. La tension monte encore d’un cran. Nous sommes dos au mur. Soit nous obtempérons, soit nous nous jetons dans un combat qui nous mènera à notre perte. C’est mon tour de bouillonner intérieurement... A la surface, une armée de démons doit être en train de ravager Kénabrès, avant de marcher du Golarion tout entier. Et nous, plutôt que de lutter contre un réel ennemi, nous sommes coincés ici à palabrer pour sauver la vie d’un nain nécrophage qui, il y a quelques minutes, voulait nous trancher la gorge juste pour avoir fait un pas dans sa caverne. Très bien... Ma décision est prise... Je m’avance vers le chef Sull et me porte volontaire pour une alliance et un rituel de lien du sang. Je leur livre également notre prisonnier vivant, refusant de le mettre à mort sans un procès. Le demi-orc me lance un regard de haine, la prêtresse et le paladin semblent mal à l’aise. Peu importe... N’importe quoi pour avancer et sortir de ces cavernes.
Ma déclaration a, semble-t-il, fait retomber la tension... La communauté se disperse, retournant à son quotidien. Emdahl et Sylia respirent enfin et commencent à deviser sur la marche à suivre et la prochaine étape. Kizzar, par contre, tout en rage contenue, s’éloigne de nous à grand pas, et s’isole afin de ne pas avoir à croiser les autres en général, et moi en particulier.
Étonnamment, les mongrels ont une vie commerciale et sont heureux de troquer avec nous les quelques possessions de nos défunts ennemis. Nous accueillons avec soulagement la possibilité et pouvoir alléger nos sacs de quelques cottes de mailles puantes et de les rempalcer par de l’équipement plus utile. Emdahl découvre avec émerveillement une antique armure aux armes de Sarenrae, qu’il se hâte d’enfiler. J’opte, pour ma part, pour un arc long simple, mais solide.
Au bout de quelques heures de repos, nous sommes conviés à un banquet, sur la place centrale. Alors que l’ambiance se détend devant des plats étranges, mais nourissants, je remarque un symbole sur le vestige de robe de Sull : Une chauve-souris posé sur un champignon... La même que celle sur la broche que nous avons ramassé plus tôt dans les cavernes. Toujours dans l’optique de cimenter l’alliance avec Sull et de sortir le plus vite possible d’ici, je sors le bijou d’un de nos sacs et la tend au colossal mongrel.
A nouveau, le silence enveloppe la ville... Plus un bruit... Le chef se lève et me demande la provenance de cet objet. Je lui réponds, comme dans mes souvenirs, que nous l’avions trouvé sur un des nains tués au combat. Poussant un soupir moitié d’effort, moitié de peine, il se lève et se retire du banquet, qui se disperse rapidement, nous laissant seuls devant des assiettes à moitié terminées. Les bruits de portes et de volets qui claquent achèvent de me confirmer ma bourde diplomatique. Je cherche des yeux mes compagnons... eux non plus ne semblent pas saisir la situation.
Un peu plus tard, l’incident terminé, nous sommes convoqués sur la place, à nouveau en présence de la communauté entière. On me fait signe de monter sur le promontoire, où se trouve Sull et un ténébreux personnage, tout encapuchonné pour cacher une silhouette trop inhumaine, même pour ses pairs mongrels. Alors que je prends place à côté du Chef, le sorcier entonne une litanie dans une langue oublié en brandissant un crâne évidé pour faire office de coupe. La litanie est reprise par la foule, d’abord faiblement. Puis, au fur et à mesure que la foule s’échauffe, le chant devient plus fort, plus entêtant. Bientôt 50 cordes vocales et toutes formes et de toutes natures chantent à tue-tête un hymne barbare à je ne sais quel dieu païen. Le chaman entaille la paume de Sull, qui ne bronche pas et laisse s’écouler un filet de sang sombre dans le réceptacle. Mon tour vient, et, malgré la douleur, je maintiens ma main en place. Nos sangs se mélangent au rythme des voix enfiévrées. L’incantation se poursuit et les liquides dansent dans le crâne. Les nuances de rouge tourbillonnent, formant des scènes de batailles passées et futures. Des remous, puis des bouillons apparaissent, ajoutant à la mise en scène divinatoire à la quelle j’assistais. Finalement, d’un geste de la main, le sorcier fait taire l’assistance. A tour de rôle, Sull, puis moi buvons dans le crâne. Une fois celui-ci reposé, une clameur retentit et la foule en liesse ne se calme que pour écouter un discours du chef sur les droits et les devoirs des nouveaux alliés. Il m’échange ensuite la broche contre une antique masse d’armes, puis se dirige vers le nain prisonnier. Alors que la foule se calme progressivement, il arrive à sa hauteur et pose la main se sa tête, qui parait minuscule tant le mongrel est immense. Sans sembler faire le moindre effort, les doigts du chef serrent et broient la tête de l’infortuné comme un melon trop mûr. Kizzar pousse un grognement sourd, ses yeux passe de Sull à moi, puis à emdahl...
« Ce n’est pas ce qui était prévu... » dit-il
Sull ne répond pas et nous annonce que nous désormais libres et que, si nous arrivions à nous frayer un chemin au travers des mongrels renégats, nous étions libres de partir. Sans perdre de temps, nous nous équipons et nous mettons en marche. Kizzar, d’habitude éclaireur, ferme la marche, loin derrière tout le monde, silencieux. Au bout de quelques heures, nos guides mongrels nous indiquent l’entrée du repère des renégats, au-delà duquel se trouve notre sortie, et nous font un dernier cadeau, un sac de potions.
Nous nous aventurons silencieusement dans les cavernes aménagées. Mais le silence est quelquechose de très relatif quand on marche dans des cavernes désertes où les simples battements de notre cœur semblent tellement forts qu’ils peuvent faire s’écrouler le plafond sur nos têtes. Aussi, au premières barricades, je ne suis pas surprises quand nos adversaires nous attendent. En quelques secondes le chaos de la bataille nous engouffre... Emdahl, protégé par son bouclier, est en première ligne et bloque la progression des renégats. tandis que Kizzar, plus mobile, sème la mort en virevoltant au milieu des ennemis. Sylia et moi tentons d’avoir une ligne de vue dégagée, mais l’exigüité des locaux et le nombre des ennemis nous compliquent la tâche. Ils sont de toutes parts, les coups et les flèches pleuvent... Alors que nous franchissons finalement un seuil de porte qui nous avait tenu en échec, offrant couvert à ses défenseurs, nos ennemis lancent sur nous un lézard géant, dont les chaines maintenant détachées, raclent le sol dans un tintamarre assourdissant... Hurlements, incantations, fracas des armes sur les os et armures... L’adrénaline coule à flots dans mes veines. Je ne sens ni l’épuisement, ni la douleur, juste l’ardeur de la bataille, avec, en vue, la sortie... Mais alors que la bataille semblait terminée, des renforts ennemis arrivent sous la forme de prêtres des dieux sombres... Je suis éreintée... j’essaye, en vain de me rappeler d’un sortilège à jeter pour les terrasser, mais ma bouche est pâteuse, et ma vue brouillée. Le disciple de Deskari sort alors un parchemin et le lit, faisant naitre une tête de mort luminescente dans sa paume. D’un geste, il la projette sur moi... Alors qu’elle me touche, dans ma tête explosent un millier d’images terrifiantes... Le prêtre ennemi se trouve alors nimbé de feu et me semble démesuré... Son aura magique est suffocante... autour de lui, invoqués, apparaissent nombre de démons et diables mineurs. Même sa faux se met à briller d’une lueur digne d’une relique démoniaque... Il taille en pièces mes compagnons un par un comme s’ils n’étaient que des poupées de paille... Mon courage m’abandonne, je lâche mon épée et fuis, comme un animal apeuré, moitié en rampant, moitié en courant... Une seule chose m’importe... sortir... trouver la sortie et m’éloigner le plus possible de ce monstre... Je fouille frénétiquement les autres pièces à la recherche d’une issue, d’un refuge... Mais ce piège mortel est manifestement bien refermé et je me blottis, tremblante, derrière le pitoyable couvert d’une table renversée. Les mains plaquées sur les oreilles, les yeux fermées, j’attends que la mort viennent me chercher, en priant les dieux pour que ce soit rapide et sans douleur... Je ne sais combien de temps s’est passé comme cela, mais la panique me guide comme elle m’avait gagnée. Prenant alors conscience de la magie qui m’avait affectée, je frappe violemment la table qui me servait de pathétique forteresse. Des larmes de rage coulent sur mes joues... Comment avais-je pu céder si facilement et ne pas voir au travers de l’illusion... Je voulais combattre des démons mais était incapable de dominer mes émotions et pleurait comme la petite fille dans son cachot que j’étais encore il y a 10 ans. Je me rejetais dans la bataille pour la découvrir terminée... Kizzar, debout au côté des cadavres des deux prêtres, me jette un regard méprisant alors que je rentre dans la pièce. Les deux autres, sont gravement blessés eux aussi et Sylia s’active avec les bandages et les potions de soins. Presque honteuse d’être indemne, j’entreprends de fouiller le reste du niveau, tant pour trouver une sortie que pour être sûr qu’un ennemi n’y reste pas... J’essaie de ne pas entendre les insultes proférées par le demi-orque au passage. Alors que je trouve un passage secret, le sol s’ouvre sous mes pieds... Un piège que je n’avais pas vu... encore un échec... Je me rattrape in extremis à un pan de mur, mais un pieu acéré me passe au travers de la jambe... Un cri franchit mes lèvres, plus à cause de mon amour propre blessé que de la douleur physique... Je me hisse hors de la fosse et m’adosse à un mur, seule... Alors que je bois une des dernières potions de soins, et que je sens sa douce chaleur remplacer la douleur dans ma jambe, mes yeux se portent sur le plafond, au-delà duquel se trouve le niveau supérieur, la sortie et de nombreux ennemis...
Il fallait sortir d’ici, et vite...
_________________ Chuck Norris ne fait jamais de faux numéro, c'est vous qui répondez au mauvais téléphone.
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