Samedi après midi, à l'invite du Sieur Privat, je me suis rendu à LudikBazar afin de tester son oeuvre,
Bimbo, que je n'ai pas épargné dans différentes interventions sur le forum
Casus NO (au point de me faire traiter de troll, mais je m'en fous, j'assume, le troll étant, quoi qu'on en dise, une créature sympathique et avec laquelle je partage quelques similitudes, à commencer par une proéminence abdominale du plus bel effet). Pour moi, un jeu prénommé Bimbo (
une jeune femme superficielle qui prend exagérément soin de son apparence et sait jouer de ses charmes; une ravissante idiote, une gourde sexy selon les définitions les plus softs que j'ai pu lire ici ou là) proposant aux joueurs (désignés ici comme joueuses) d'incarner une actrice en devenir dans l'univers du cinéma d'exploitation (genre qui a donné naissance à ce qu'on a appelé la
sexploitation, l'ancêtre du cinéma porno) ne pouvait déboucher que sur un jeu malsain où chaque actrice donnerait dans la surenchère, notamment sexuelle, pour s'assurer une place en haut de l'affiche. Or, notre loisir se trainant déjà suffisamment de paladines en bikini chainmail et autres barbaresses en string de fourrure, j'estimais qu'il n'avait pas besoin qu'on lui "inflige" un jeu a minima racoleur, au pire "putassier" (et vous savez à quel point j'aime incarné des personnages féminins, et donc que la question m'intéresse).
Mais comme dirait les opticiens Krys (placement de produit réussi ! +1 en star system), ça c'était avant...

... avant que je rencontre GPT. Car derrière le pseudo, il y a un homme, et en l'occurrence un homme fort sympathique. Au delà d'un certain nombre de points communs (plus que je n'aurai pu croire de prime abord), il a surtout un humour qui ne me laisse pas insensible et j'avoue que l'écouter expliquer son jeu fut un régal. Bon, si ça se trouve, il avait étudié ma fiche avant, espionner mon compte FB, et préparé tout un tas d'arguments et de calembours exprès pour m'appâter, mais force est de constater que son entreprise de séduction massive a fonctionné. Bref, j'ai passé une très bonne après midi en sa compagnie (pendant que madame s'occupait du gosse, faut pas déconner, on est macho ou on ne l'est pas !).
Mais une personne sympathique, ça ne me suffit pas. Je suis comme ça, que voulez vous, sinon les colporteurs qui sonnent régulièrement à ma porte auraient déjà réussi à me vendre tous leurs produits miraculeux.
Evacuons tout de suite l'épineuse question:
Bimbo est il sexiste ? Assurément, oui !
Heu... c'est pas ça ton texte cocotte ! Quoi ? C'est pas ça ton texte ! Ah ok ! Coupez ! On la refait !
Donc, Bimbo est il sexiste ? Après compulsion de l'ouvrage et discussion avec l'auteur, j'en arrive à la conclusion que non, ce n'est pas une oeuvre sexiste.
Déjà, elle ne l'est pas dans la forme; avec un titre pareil, on aurait pu imaginer avoir de la babe topless trucidant du zombie, du punk, du monstre du marais à chaque page, mais ce n'est pas le cas. Pour ce que j'en ai vu, on est plutôt dans des silhouettes féminines en noir et blanc qui ne sont pas sans me rappeler certains génériques de James Bond. Même côté couvertures, c'est très soft. Si je cherchais la petite bête, je dirai bien que la "kill billette" de l'édition collector est un poil trop dévêtue, mais ça reste bien en deçà de nombreux bouquins de JdR "d'Erotic" Fantasy où les illustrateurs rivalisent d'imagination concernant les armures féminines (à croire que moins ça couvre, plus ça protège; un concept intéressant, j'en parlerai à mon fournisseur de gilet pare-balle...).
Ensuite, elle ne l'est pas dans le propos, du moins dès qu'on a compris les intentions de l'auteur (et pour cela, le mieux est encore d'en discuter de vive voix avec lui). Ainsi, si la lecture s'ouvre sur le point de vue d'un réalisateur s'adressant à son actrice et dont le propos pourrait se résumer à "soit belle et tais toi", on sent qu'il y a là du second degré. Un peu comme si GPT avait voulu dire à son lecteur "voilà, c'est ça que vous attendez, alors je vais vous le donner tout de suite !" Après tout, le cinéma lui-même a parfois mis en scène, avec plus ou moins de réussite, l'histoire de la jeune fille de province montée à la ville pour devenir une star et qui se retrouve entre les mains de réalisateurs / producteurs peu scrupuleux, voir libidineux. La question n'est pas tant de savoir si le milieu du cinéma est réellement comme ça, mais c'est ainsi qu'on le fantasme. Donc le Sieur Privat nous en donne tout de suite pour notre argent. Pourtant, le ton sait se faire beaucoup plus sérieux dès lors qu'on aborde des sujets épineux, dont notamment les scènes de cul, ou de "Q" comme s'intitule le chapitre. C'est bien entendu là dessus que mon attention s'est portée lors du débriefing puisque c'était mon principal grief contre le jeu, et j'ai pu constater qu'au delà de "l'explicit content", il y avait des rappels sur ce qui restait un jeu, et sur l'importance aussi de connaître ses joueurs (notamment sur la question des scènes de "violences sexuelles" qui fut l'un des moteurs du cinéma d'exploitation à une époque). Je n'ai pas lu le chapitre en détail mais les garde fous semblent en place.
De manière plus générale et de mes échanges avec GPT, j'en retiens que Bimbo est bien moins sexiste que ce qu'il aurait pu être (je ne rentrerai pas dans les détails mais certaines idées pré-production, et qui ne sont pas de M. Privat, sur ce que devait être Bimbo font froid dans le dos et pour le coup aurait valu un gros tampon "sexiste" à l'ouvrage) et que son auteur savait qu'il avait entre les mains un objet qui pouvait faire polémique; d'où une recherche, une documentation préalable sur le sujet, et un certains nombres d'avis pris ici ou là pour rester dans le ton sans franchir la frontière qui sépare la provocation du mauvais goût. C'est intelligemment fait, et sans aller jusqu'à dire qu'il s'agit d'une oeuvre engagée, c'est de la provoc' comme chanter
L'International à un congrès de banquiers ou d'aller boire une bière aux Trois Obus avec un maillot de l'OM (je déconseille toutefois cette dernière audace sous peine de perdre quelques dents).
Bien évidemment, il y aura toujours des lecteurs qui prendront cela au premier degré (après tout, certains de mes contemporains pensent que Bigard est le plus grand philosophe du XXIème siècle) ou qui utiliseront Bimbo pour refaire une production de John B. Root. C'est à peu près aussi inévitable que le viol de la serveuse dans l'auberge dans toute production med-fan qui se respecte (ne niez pas, on l'a tous fait au moins une fois !). Mais Bimbo ne l'encourage pas et n'est pas écrit dans ce sens...
Bon, tout cela c'est bien beau, mais
qu'est ce que le jeu a dans le ventre ?Et bien je vais faire vite; plein de bonnes choses ! Le système de jeu est simple puisque la résolution des actions se fait en lançant 3d6 auquel on additionne son score de "sexy" (pour une action tout en "souplesse") ou "macho" (pour une action tout en muscles) plus des bonus donnés par des mots clefs contenus dans le répertoire du personnage (principe repris d'Herowars cité par l'auteur), le but étant de battre le score du figurant (qui peut être plus ou moins "doué" et qui s'applique à toute opposition; un bureau vermoulu et grinçant sera par exemple un figurant s'opposant à toute action discrète). Soyons honnête, on échoue rarement, et c'est normal puisqu'on est les vedettes ! Le choix de la réussite ou de l'échec revient la plupart du temps au joueur, bien qu'un principe (non testé) permette d'ajouter des PNJ vedettes qui viendront compliquer la tâche des PJs. Quoi, vous n'espériez pas pour votre première scène tenir la dragée haute en combat singulier à Bruce Willis, non ?
Le jeu repose sur un principe de double opposition. D'abord, une opposition face au jeu en lui-même, le but étant de réussir à produire le film (avec l'acquisition de "bonus" faisant avancer le tournage et de "malus" contrariant la prod' selon les actions des joueuses, le tout symbolisé par des jetons qui permettent de savoir à tout moment où l'on en est). Ensuite une opposition entre joueuses, le but étant d'être la vedette qui aura son nom en gros sur l'affiche. Il faut donc se mettre en avant, enquiquiner ses petites camarades, tout en veillant à ce que le film soit produit puisqu'il est possible à titre personnel d'investir de l'argent dans le film (pour de meilleurs effets spéciaux, plus d'explosions, plus de... trucs qui coupent le souffle aux spectateurs) et qu'en cas d'échec, tout l'argent investi est perdu (GPT nous donnait l'exemple tiré d'une de ses campagnes où ses actrices ont volontairement saborder un tournage pour ruiner l'une de leur consoeur qui commençait à avoir un peu trop de tunes, et donc trop d'influence sur le réalisateur ! L'argent symbolisant en effet l'expérience à Bimbo). Il y a moyen de se faire de belles crasses et de bien rigoler.
Pour se mettre en valeur et devenir LA vedette du tournage, il y a de nombreux mécanismes de jeu. Notamment l'utilisation des plans (rapproché, plan américain, plan large, flashback) qu'il serait fastidieux de décrire en détail. Mais la mécanique est vraiment bien pensée; j'adore notamment le "gros plan" qui permet d'effacer tout ce qui n'est pas dans le plan ou de ne pas être interrompu durant une tirade, ou le traveling qui permet d'enchaîner plusieurs actions. Ou les clichés qui ne tournent pas tous autour d'un plan "Q" mais qui consiste à réaliser un objectif "secret" pendant le tournage (par exemple, dans la partie de démonstration, il fallait que j'arrive à caser de manière cohérente avec le film en tournage un remake de la scène de la douche de Psychose).
Soyons honnête, je ne connais rien au cinéma (à part le prix des places que je trouve exorbitant), je n'ai aucune idée de comment cela se passe sur un plateau de tournage, mais Bimbo permet de rendre parfaitement autour de la table ce qu'on imagine que cela peut être. Le jeu pullule de bonnes idées comme le placement de produits (réussir à placer un sponsor dans une scène), le coupez on la refait (qui permet de changer l'histoire et accessoirement, de priver une "copine" d'une bonne scène), la phrase culte (à caser au bon moment), les punchlines (qui peuvent par la suite devenir des phrases cultes), le budget du film (permettant de faire de la série Z ou au contraire un blockbuster en puissance), l'élément comique (en cas de triple 1 sur un jet, la joueuse devient l'élément comique du film). Il est même possible de faire un remake d'un film joué ou une suite ! Le jeu en campagne est géré. Il est ainsi possible d'investir de l'argent pour lancer une campagne de dénigrement à l'encontre d'une rivale entre deux tournages, de faire de la chirurgie esthétique (augmentation de l'attribut sexy) ou de la musculation (augmentation de l'attribut macho) pour préparer son prochain rôle... bref, de gérer sa carrière bien que ce ne soit pas le propos central du jeu et que j'espère à l'avenir encore plus d'options (un supplément décrivant la possibilité de faire don à des oeuvres caritatives ? d'organiser une paparazzade ? d'épouser un acteur célèbre pour bénéficier de sa gloire ?).
Autour de la table, tous les mécanismes se mettent rapidement en place et poussent à la prise de parole. Hier, nous avons joué
Drive In, un remake petit budget de Mad Max avec une dénonciation du système US (oui, faut pas croire, c'était un film engagé) et ce fut trois heures de réjouissance, de délire, de jeu... trois chouettes heures que je n'ai pas vu passer. Votre serviteur a obtenu son nom en gros, en gras, et en souligné au générique de fin (j'ai bien compris le principe du star system) et je n'attribue qu'à la jalousie des autres actrices le fait de ne pas avoir obtenu la statuette récompensant la meilleure prestation ! GPT parlait de narrativisme dirigé à propos de Bimbo, et c'est tout à fait ça; le metteur en scène décrit la scène, le décors, et le but à atteindre. On est donc mis sur des rails. Mais à l'intérieur de la scène, libre aux joueuses de rajouter ce qu'elles veulent. Cela donne paradoxalement un immense sentiment de liberté alors même que l'on doit s'en tenir au scénario. Franchement, à aucun moment j'ai eu le sentiment d'être sur quelque chose de linéaire alors que c'est pourtant la base même du jeu.
Et pour
conclure ce long feedback, que vous ayez tout lu ou que vous en arriviez directement à ce chapitre, sachez que ce Bimbo,
c'est du tout bon ! C'est ludiquement puissant et intelligemment pensé. Pour moi, cela va même au delà d'un "simple" JdR. C'est un jeu, un excellent jeu même, avec effectivement une part d'interprétation, mais également des mécanismes de jeu de société (et ce n'est pas péjoratif). Lors de la partie de démonstration, je me disais que j'y jouerai volontiers avec des non rôlistes; mes parents, des amis... je pense que cela peut même faire un jeu d'initiation tout à fait convenable (GPT me disant que cela marchait très bien avec des enfants et je le crois). Bien sûr, à l'image d'un tag CSA, il convient de choisir son film en fonction de son public (on ne jouera pas
Delivrance avec tout le monde). Pour le reste, ce jeu est aussi jubilatoire qu'une critique de Nanarland ou qu'un billet ciné de l'Odieux Connard !
...
Gros plan, la tête d'Uphir heurte le sol dans un nuage de poussière et de (faux) sang. En fond sonore, un bruit de bottes qui se rapproche. Uphir est violemment tiré hors du champ. Contre plongé, la bimbo domine de toute sa superbe l'objectif, le soleil brûlant haut dans le ciel éclairant derrière elle. "Quelque chose à ajouter ?" Gros plan, Uphir, dominé par l'ombre de la bimbo, crache son sang et un bout de dent. Entre deux souffles, il lâche: "tu m'as eu, fucking bitch !". Gros plan, le visage de la bimbo: "J'te l'ai déjà dit; parle pas mal de maman !". Contre plongé, elle lève sa botte et écrase son talon sur la tête d'Uphir. Noir. Générique. Coupez !