LEGENDES D'AUTRES MONDES

Manhattan, dimanche 27 mai
En fin de saison précédente, dame Cho avait été défaite par un petit groupe qui avait réussi à franchir, un à un, les obstacles dressés face à eux. Ainsi, Ashley, Zane, Axel le chasseur et Vanessa la vampire mirent un terme à la folie de Cho qui voulait précipiter tout Manhattan en enfer ! Malheureusement, l’âme d’Ashley a été aspiré dans les tourments infernaux, laissant derrière elle un corps inerte. Les jumeaux, de puissants mages, mirent le corps de la chef de meute en stase en attendant de trouver une solution.
Parmi les disparus, Hurricane le chasseur, Samantha et Kurt les loups Garous, Antonio le vampire. Quant à Percy, il s’était lancé en chasse de Rosie qu’il tenait responsable de la mort de son neveu, Kurt.
Personne ne sait ce qu’il est advenu de Tony et de Zack au prise avec l’Ogre de sang et les sbires de Cho.

Les voix parlaient toujours par la bouche de Veronika dans un concert parfois à peine audible.
— Miss Winston avait un marché avec nous.
— Je sais, rétorqua Z, je l’honorerai à sa place.
Les jumeaux hochèrent la tête.
— Nous vous attendons.
Puis ils libérèrent Veronika de leur emprise.
Les survivants des autres groupes avaient finalement rejoint ceux qui avaient affronté Cho.
Les loups prirent en charge le sarcophage et son précieux contenu. Zane ne souffla pas un mot.
Ils transportèrent leur chef dans sa gangue de glace jusqu’au Red Moon.

Z	Penny Winston

Manhattan, mercredi 30 mai
Le privé les abandonna et commença à préparer son prochain voyage lorsque Penny vit le trouver chez lui, plus tard. Lorsqu’elle frappa à la porte du privé, Zane laissa la porte entrouverte et continua ses préparatifs.
— Comment vas-tu, Zane ? demanda la mère d’Ashley.
Il répondit distraitement.
Afin d’obtenir son attention, elle posa une main sur la sienne et le força à la regarder en face.
— Que s’est-il passé ? insista-t-elle, s’il te plaît Zane, dis-moi ce qui s’est passé. Je ne supporte pas de ne pas savoir !
La voix de la mère d’Ashley était suppliante.
Finalement, le privé lui raconta l’affrontement final contre dame Cho et comment l’âme de sa fille avait été aspirée dans le néant.
Le récit arracha une larme à la journaliste.
— Merci, souffla-t-elle.
Zane hocha de la tête.
— Je ne voudrais pas te paraître brusque, mais j’ai encore beaucoup à faire si je veux arracher Ashley de l’endroit où elle se trouve !
— Bien sûr, s’excusa-t-elle.
Elle hésita à poser sa question mais se jeta à l’eau :
— Z, ne voudrais-tu pas… parler à la meute ? Nous parler ? corrigea-t-elle.
Le privé prit un moment pour répondre.
— Penny. Mon fils a disparu, enlevé par mon propre frère ! L’âme d’Ashley est perdue en enfer… Et toi, tu veux que je vous parle ? Que je parle à la meute ? Sais-tu seulement que j’ai autre chose de plus important à faire !
Ces paroles peinèrent Penny au plus profond d’elle.
— J’aurais cru que tu ne nous détestais pas tant et que tu apprendrais à nous connaître...
Elle se leva et se dirigea vers la porte puis se retourna avant de sortir.
— Zane, je ne te demande pas de le faire pour nous, mais pour l’amour que tu portes à ma fille !

_________________
Administrateur du forum

Ashley Winston

Enfer, Dimanche 27 mai

Ashley avait cessé de hurler lorsque le sol s’était refermé au dessus d’elle et que Zane avait disparu. La chute semblait durer depuis une éternité. La lueur rougeâtre se fit de plus en plus vive dans les abîmes qui l’avalaient. Soudain, la louve percuta le sol à plat sur le dos. Le choc fut violent, mais elle se releva indemne, sans une égratignure. Abasourdie, elle examina ses bras, ses jambes, son buste… Tout était là, bien en place. Elle était pourtant sûre d’avoir vu Zane tenir son corps à bout de bras au dessus du vide pendant qu’elle tombait…
Elle regarda autour d’elle. La lueur provenait du feu mourant d’une immense cheminée, à quelques mètres de là.
— Fascinant comme le cerveau humain ne peut concevoir l’immatériel, commenta une voix grave qui résonna contre les parois de pierre.
Ashley pivota la tête à la recherche de l’intrus.
— Seule votre âme parvient jusqu’ici et pourtant, vous croyez encore posséder un corps et respirer. Pauvres créatures que les humains !
Une silhouette imposante se détacha des ombres et s’approcha les bras chargés de grosses pierres noires. Ashley recula jusqu’à être acculée contre un mur. Devant elle se tenait un démon sous sa forme originelle. Ses ailes étaient recroquevillées dans son dos, deux énormes cornes surmontaient sa tête et ses sabots claquaient sur le sol à chaque pas.
La bête jeta quelques pierres au feu avant d’entreposer le reste à côté de l’âtre. Le démon se tourna ensuite vers la jeune femme :
— Étrange, je n’attendais personne à cet instant. Suivez-moi, nous allons faire votre dossier.
— Mon quoi ? balbutia Ash.
— Votre admission. Ce n’est pas parce on est en Enfer qu’il n’y a pas un mininum d’organisation !

Ashley Winston	Ena Hostblad

Enfer, Dimanche 27 mai

Ashley suivit le démon à l’autre bout du vestibule. Il s’installa derrière un bureau si massif et si haut qu’Ashley eut l’impression de redevenir une enfant. Elle resta debout tandis que son interlocuteur s’installait. Il la chercha un instant des yeux puis s’exclama :
— Oh, j’oublie toujours !
Il claqua des doigts et un escalier se forma devant la jeune femme. Elle gravit les quelques marches jusqu’à une barre qui ressemblait à celles qu’on trouve dans les tribunaux. Le démon ouvrit un lourd registre et s’empara d’un stylo à plume qu’il trempa dans un flacon au liquide rouge sombre. La louve reconnut l’odeur du sang. Elle restait sur ses gardes même si le démon ne montrait aucun signe d'agressivité.
— Nom, prénom, date et cause du décès ? énuméra ce dernier du ton morne de ceux qui ont répété la même tâche un million de fois.
— Mais… euh... je ne suis pas morte, enfin, je ne crois pas.
Le démon releva la tête et fixa la louve de ses yeux noirs sans pupilles. Elle sentit son corps se paralyser et ses souvenirs être sondés. La présence du démon dans son âme la révulsa au plus haut point. L'expérience ne dura qu'un instant, mais Ashley tomba à genoux lorsqu'il la libéra de son emprise. Elle se sentait vidée et souillée.
— Votre corps n'est peut-être pas encore mort, mais ça ne saurait tarder. Les humains n'aiment pas trop s'encombrer. Ils font l'effort de maintenir le corps en vie, le temps de se donner bonne conscience et ensuite, ils débranchent la machine. Ça serait plus miséricordieux d'achever tous ces tas de chair. Et on dit que les démons sont sans cœur… ajouta-t-il en haussant les épaules.
Z ne ferait pas ça, pensa-t-elle. Il fera tout pour me sortir de là.
— Antée ! ANTÉE ! gronda soudain le démon, ce qui fit sursauter Ashley.
Un homme très grand les rejoignit dans le vestibule et attendit ses instructions.
— On a une âme en transit. Tu sais quoi faire.
L’homme saisit Ashley par un bras et l’emmena sans un mot. Au bout d’un couloir sombre, il ouvrit une porte de métal et jeta la jeune femme à l’intérieur d’une cellule. Il referma et disparut aussitôt. La louve s’accrocha aux barreaux qui protégeaient une mince ouverture dans la porte. Elle interpella le fameux Antée sans succès, il n’avait pas émis un son.
De rage, Ashley secoua les barreaux de toutes ses forces.
— C’est pas comme ça que tu vas l’impressionner ! l’interpella une voix malicieuse au fond de la cellule.
La louve se retourna brusquement. Une jeune femme à la longue chevelure rousse flamboyante était accroupie au fond de la cellule. Elle se releva gracieusement malgré l’aspect plus que défraîchi de ses vêtements.
— Qui êtes-vous ? l’interrogea Ash méfiante.
— Mon nom est Ena. Et qui me fait l’honneur de sa compagnie ?
— Ashley. Qu’est-ce que vous faites là ?
— La même chose que vous très chère, je suis en transit, annonça la femme la fixait de ses grands yeux bleus emplis de curiosité. Comment êtes-vous arrivée ici ? Non pas que je me plaigne d’avoir un peu de compagnie. Je commençais à trouver le temps long.
— Depuis quand vous êtes là ? s’inquiéta Ash.
— Des mois, des années… impossible à dire ici bas.
La louve décela une pointe de rage dans le regard de la rouquine.
— Des années ! Mais je dois repartir d’ici ! Je vais repartir, je ne peux pas rester…
Le visage de Zane occupait son esprit, ainsi que le bébé qu’elle portait. Qu’allaient-ils devenir si elle ne revenait pas ? C’était la première fois qu’elle pensait à cet être en devenir depuis le test. Elle avait totalement occulté sa grossesse ces derniers jours, entièrement concentrée sur le plan pour vaincre Dame Cho.
— C’est ce que je me disais aussi, au début, confessa Ena. Personne de ma Cour n’est venu me sauver, comme personne ne viendra te sauver, lui dit-elle en s’approchant l’air sévère. Plus vite tu te feras à cette idée, mieux se sera.
— Ta Cour ? Tu es une fée ?
— J’étais une fée de la Cour d’Automne, mais j’ai perdu mes pouvoirs dans cet endroit maudit !
— Que t’est-il arrivé ?
La fée afficha un sourire malicieux :
— Tu me racontes ton histoire, je te raconte la mienne.
Les deux femmes discutèrent longuement. La fée était l’héritière du royaume de l’Automne. Elle expliqua à la louve qu’elle avait été piégée par celle qu’elle croyait être sa meilleure amie. Celle-ci n’avait pas hésité à expédier l’âme d’Ena en Enfer pour prendre possession de son corps et ainsi prendre la place de l’héritière.
Ashley lui expliqua comment son âme s’était retrouvée aspirée en Enfer. Elle ne mentionna pas la mission confiée par les jumeaux Von Sterling. Ni Zane, ni sa meute n’allaient se résoudre à l’abandonner ici. Ils trouveraient quelque chose pour la tirer de là, c’était certain.
— Ta meute ? Tu es une louve ?
Ash acquiesça de la tête.
— J’ai peut-être une idée pour nous sortir d’ici, annonça la fée à voix basse.

Manhattan, Jeudi 31 mai

Dès que Zane arriva au Red Moon, les gens lui firent un passage, au bout, il aperçut le sarcophage de glace qui emprisonnait sa bien aimée. Il s’y dirigea d’un pas lent malgré les personnes présentes au club ce soir, il n’avait d’yeux que pour sa bien aimée. Seule la meute était là, la meute et lui.
Il ne l’avait pas vu depuis que les jumeaux Von Sterling l’avait mise en stase. La voir ainsi, lui brisa le cœur. Elle ne semblait pas souffrir, elle était presque sereine, figée dans un sommeil profond…
Mais elle était toujours aussi belle, sa peau dorée, ses yeux en amande et ses lèvres pulpeuses lui rappelèrent tant de souvenirs. Elle lui manquait terriblement. Il déposa un baiser sur la gangue qui était fraîche au contact. Puis le privé se retourna face à la meute qui attendait.
À la vérité, il ne savait pas quoi leur dire ni par quoi commencer. Il observa la foule un instant, puis se décida.
— Commençons par une minute de silence, voulez-vous ? En hommage à tous ceux qui sont tombés.
Une fois le délai passé, Z reprit la parole :
— J’imagine que vous avez des questions à poser ? Je suis là pour y répondre.
— Ashley est-elle morte ? demanda une femme d'âge mûr.
Z tourna son regard vers Penny. La mère d’Ashley n’avait donc rien dit. Pour quelle obscure raison ? Cela lui échappait.
— Votre chef est dans un état de…
— De mort clinique, c’est ça ? lança un homme sur sa droite.
Un murmure parcourut l’assistance.
— Il faut trouver un nouveau chef… s’emballa une autre voix, dès ce soir ! Oui ! Organisons une nouvelle élection…
Les voix se posèrent des questions et se répondirent à elles-mêmes dans un brouhaha indescriptible. Z y décelait la précipitation, la peur et l’angoisse. Il hésitait. Devait-il les laisser à leur sort ? Nul doute qu’un passage chaotique allait surement secouer la meute, allait-elle y survivre ? Dans le cas contraire, Z aurait Ashley pour lui tout seul. C’était si simple au fond, il fallait simplement laisser les loups garous s’auto-détruire, comme l’avait prédit Storm à la cathédrale, et l’affaire serait jouée. Ashley serait toute à lui et à lui seul !
Penny observait intensément Zane, mais ne bougea pas, ne parla pas. Il sentit néanmoins le poids de son regard.
Z baissa la tête, la meute était tout pour Ashley, si elle venait à disparaître cela détruirait sa bien aimée...
Le privé demanda le silence, mais la cacophonie ambiante couvrait sa voix. Il finit par hurler à la troisième fois :
— SILENCE !
Les voix se turent, les têtes se tournèrent.
— Votre chef n’est pas morte ! ASHLEY... N’EST… PAS… MORTE ! gronda-t-il.
Z laissa un moment à l’assistance pour intégrer la nouvelle et pour reprendre son souffle, puis il enchaîna :
— Vous voulez la vérité ? lança-t-il à l’assemblée, pendant qu’elle s’occupait à sauver vos miches, son âme a été aspirée en Enfer ! Alors, vous savez quoi ? Vous pouvez décider de la remplacer, dès ce soir ! Moi, de mon côté, je vais la chercher et je la ramènerai ! fit-il en frappant le sarcophage du plat de la main, et ça je le jure !
Zane caressa le cercueil de cristal comme s'il touchait sa bien aimée.
— Alors, les amis ? reprit il d'une voix douce, qu'allez vous faire ce soir ? Allez vous m'aider ou vous rechercher un nouveau leader ?
Les rangs se resserrèrent autour de la reine endormie.

_________________
Administrateur du forum

Ashley Winston	Ena Hostblad

Enfer, mercredi 30 mai
— Libère ton esprit, répéta Ena pour la énième fois. Je te l’ai dit, ici, en tant qu’âme pure, tu n’as pas besoin de la lune pour changer de forme. Tu n’es que la projection de ton moi intérieur.
— Et bien il faut croire que je ne me vois pas comme une louve ! s’agaça Ashley.
— Essaie encore, c’est le seul moyen pour toi de sortir d’ici. Si tu veux revoir ton Zane, si tu veux avoir ton bébé, t’as pas le choix !
— Je suis sûre que je peux me le faire sans me transformer…
— Non ! Fais-moi confiance, ta seule chance d'y arriver est sous ta forme de louve.

Ena ne se rendait pas compte… La dernière fois qu'elle s'était transformée, c'était pour sauver Zane, et elle avait utilisé une potion. Avant ça, le collier offert par Harvey l'avait protégée contre les effets de la pleine lune depuis qu'elle avait quinze ans.
À l’époque, lorsque l’adolescente se transformait, la louve prenait le pas sur Ashley. Elle se voyait reculer tout au fond d'elle-même et même si elle était toujours là, quelque part au fond de sa conscience, elle avait toujours eu l’impression que se laisser aller à ses instincts l’entraînerait dans une voie féroce et primitive, sans possibilité de retour.
Elle l'ignorait, mais c'est lorsqu’elle lui avait parlé de cette impression qu'Harvey avait compris que sa fille serait un jour une alpha. Pour rassurer l'adolescente, il l’avait emmenée à chacune des pleines lunes suivantes dans les parcs nationaux au nord de la ville. Il lui avait alors appris à dompter la louve, montré comment former un tout avec elle plutôt que l’une écrase l’autre. Il avait également durci les entraînements sur le ring, sachant qu’un jour, il lui faudrait gagner sa place face au reste de la meute.
Sa fille apprenait vite et c’était plus sereine et plus en paix avec elle-même qu’elle avait fêté ses quinze ans. À cette occasion, il lui avait offert le collier de pierre de Lune car il savait qu’Ashley voulait une vie la plus normale possible et lui ne voulait que son bonheur.

Ashley commençait à tourner en rond dans la cellule, agacée contre elle-même de ne pas parvenir à se transformer, contre Ena qui n’arrêtait pas de lui répéter qu’elle ne reverrait jamais Zane si elle échouait. La colère montait progressivement. Elle ne chercha pas à lutter et se laissa envahir. Il était hors de question d’échouer maintenant ! Ils avaient réussi à vaincre Cho, tant de gens étaient morts pour ça. Sa meute avait à nouveau été endeuillée et elle n’était même pas avec les siens. Il y avait encore tant à faire, tant à vivre… Zane… Il lui manquait tellement. Elle donnerait tout pour passer la main dans ses cheveux, pour se blottir contre lui, en sécurité. Ils n’avaient pas reparlé de la grossesse depuis le test. Il devait sentir qu’elle n’était pas prête. Peut-être que lui non plus d’ailleurs. Elle n’avait pas eu l’occasion de lui dire qu’elle était heureuse d’avoir ce bébé avec lui. Maintenant, elle savait, elle avait eu le temps de réaliser et elle était coincée ici, loin d’eux et elle détestait ça !
Le rythme de ses pulsations cardiaques accélérait dans sa poitrine. Les poings serrés, elle sentait le picotement caractéristique qui précédait la mutation. Elle anticipait déjà la douleur de la transformation qui ne vint pas. Ena avait raison : elle n’était qu’une projection de sa conscience et enfin elle avait réussi ! Une louve au poil noir de jais arpentait maintenant la pièce qui semblait avoir rapetissé d’un coup. L’animal était bien plus grand qu’une louve ordinaire. Ses yeux gris fixaient la fée intensément, ses babines se retroussèrent et son poil se hérissa sur son dos.
— C’est moi, Ena… tu te souviens, balbutia la fée en reculant de quelques pas les mains levées devant elle.

Manhattan, vendredi 1er juin

Zane avait emménager au Red Moon. Avant de partir, il voulait laisser la meute en aussi bon état que possible pour le retour d’Ashley. Il lui devait bien ça ! Sa bien aimée aurait sûrement été déçue s'il ne l'avait pas fait. Il ne voulait pas la décevoir.
Il avait donné des instructions pour retrouver Zack, Tony, Percy et Rosie. Il avait en tête quelques endroits à faire passer au peigne fin. Des lieux où la vampire et donc son poursuivant pourraient se trouver. La consigne du chef de meute par intérim avait été de ne surtout pas s'en prendre à la vampire mais de ramener le lieutenant sain et sauf au bercail. L'établissement nécessitait également d'être entretenu. Toute la meute s'était mise au travail, Z s'assura qu'elle resta occupée.
Concernant son voyage, il se sentait aussi prêt que possible. Les jours précédents, il s'était entretenu avec son ami le cardinal Quintana qui avait été d'une grande gentillesse et lui avait fourni de solides informations sur ce qu'il risquait de trouver une fois sur place. Le privé connaissant bien Ashley, il avait une petite idée de l'endroit précis où elle pourrait se trouver. Il espérait ne pas se tromper. Le sceau de Salomon quant à lui se trouverait probablement plus profondément encore dans les fosses infernales.
Penny frappa à la porte du bureau.
— Tu voulais me voir ? demanda-t-elle.
Z lui montra le siège.
— Je vais bientôt partir, Penny, le plus urgent a été traité, je crois.
Penny hocha de la tête.
— Je voulais te rendre ceci, il posa la chevalière de Harvey sur la table, là où je vais je n'en aura pas besoin.
— Très bien, répondit elle en prenant la chevalière de son époux, tu la récupèreras à ton retour.
Penny s'arrêta et regarda attentivement le privé.
— Qu'y a t il, Zane ? s'inquiéta-t-elle.
Après un instant d'hésitation, Z reprit :
— il y a des complications Penny…

Zane et Penny sortirent du bureau. La mère d'Ashley était bouleversée, elle se grattait machinalement ce qui lui restait de sa main gauche. Une petite troupe s'était rassemblée à la sortie du bureau.
— Hé bien ? s'inquiéta le privé, qu'y a-t-il ?
Une jeune femme s'avança, Z la connaissait de vue, mais il avait oublié son nom.
— On vous accompagne ! déclara-t-elle, avec une pointe de défi dans le regard.
Z tenta de protester mais ils ne voulurent rien savoir. Il s’accommoda de la présence encombrante d'une demi douzaine de loups garous qui tenait absolument à l'accompagner.

Comment allaient réagir les jumeaux à l'arrivée d'une telle troupe, il ne le savait pas…
Tant pis, marmonna t il.

_________________
Administrateur du forum

Ashley Winston	Ena Hostblad

Enfer, vendredi 31 mai
Ena était juchée sur la pointe des pieds et observait le couloir à travers les barreaux de la porte de leur cellule. Dans le coin à sa droite, la louve se tenait assise dans l’ombre, les yeux brillants fixés sur la fée.
— T’es vraiment flippante à me regarder comme ça, murmura Ena. C’est comme quand tu t’es transformée la première fois, ça me donne l’impression que tu vas me dévorer d’un moment à l’autre. Je ne sais pas ce qui est le pire : les crocs sortis ou les yeux qui brillent dans le noir ?
La louve émit un petit gémissement et cligna des yeux en inclinant la tête sur le côté.
— Non, mais je sais que tu ne me feras rien… c’est juste que j’ai pas l’habitude de traîner avec une louve-garou. Je vais m’y faire, annonça-t-elle en déglutissant. Oh ! Je crois qu’il arrive, tiens-toi prête !
Effectivement, des bruits de pas traînants approchaient, mais Ashley percevait autre chose. Des sanglots ?
— À l’aide ! cria Ena. Aidez-moi ! C’est Ashley, son âme est devenue toute transparente ! On dirait qu’elle va disparaître, faites quelque chose !
Antée jeta un regard surpris à la fée, mais ne s’arrêta pas. Il poursuivit son chemin jusqu’à de lourdes portes de bois de chêne dont le linteau était surmonté de gravures anciennes représentant des créatures plus immondes les unes que les autres. Il traînait derrière lui une âme, un homme au crâne dégarni, portant de petites lunettes ovales. Il tremblait et suppliait entre deux sanglots :
— S’il vous plaît ! J’voulais pas, j’aurais pas dû… Je recommencerai pas…
Antée ouvrit la porte à l’aide de la clé qu’il gardait toujours à la ceinture. Il poussa l’âme à l’intérieur et ordonna d’une voix rauque :
— Septième cercle !
Il referma sans un regard pour l’âme pleurnicheuse et revint sur ses pas, toujours avec la même lenteur. Elle avait le don d’agacer Ena, jusqu’à ce qu’elle le voit combattre un démon qui tentait de s’échapper de l’Enfer. Ce jour-là, elle l’avait vu aussi vif qu’un serpent et aussi puissant qu’un taureau. Elle avait prévenu Ash qu’elle devrait se méfier des apparences nonchalantes du géant.
Il arriva devant la porte de la cellule et se pencha pour voir à l’intérieur. Ena lui désigna le coin opposé à Ash. Il ne pouvait rien voir de l’extérieur, il était obligé d’entrer.
— C’est pas normal ! Qu’est-ce qui lui arrive ? demanda Ena qui continuait à jouer la comédie avec ferveur.
L’homme qui avait tout d’un géant courba la tête avant de pénétrer dans la pièce. Ena commença à se sentir à l’étroit, coincée entre une louve et un colosse. Elle se plaqua contre le mur pour laisser le champ libre à sa complice.
Dès que l’homme fut suffisamment avancé, la louve lui bondit sur le dos pour le renverser. Il trébucha vers l’avant, mais parvint à maintenir son équilibre. Il poussa un cri de fureur avant de se retourner et d’envoyer la louve voler à l’autre bout de la pièce d’un seul coup de poing. Elle couina au premier impact avec le poing, puis au second avec le mur. La louve avait le souffle coupé et ses flancs irradiaient de douleur. Il avait dû lui briser les côtes… enfin… Si Ash n’était pas sûre d’avoir des côtes ici bas, la douleur, elle, était pourtant bien réelle.
Elle revint pourtant à la charge. Il fallait qu’elle distraie le géant pour qu’Ena puisse lui subtiliser la clé.
Le plan était simple : puisque ni l’une ni l’autre n’avait idée de comment retourner dans le monde des vivants, elles exploreraient l’Enfer à la recherche du Sceau de Salomon. Ashley avait fini par confier sa mission à la fée. Celle-ci avait promis de l’assister dans sa quête si Ash s’engageait à l’aider à récupérer son corps une fois de retour sur Terre.
Antée encaissa la charge de la louve et d’un coup d’épaule évita la morsure qu’elle voulait lui infliger. Ena avait à peine posé la main sur la clé qu’il la saisit par le poignet. Il attrapa Ashley par la peau du cou, tel un louveteau et emmena les deux complices hors de la cellule.
La chef de meute se sentait humiliée au plus haut point. Elle avait beau se débattre dans tous les sens, Antée ne lâchait pas sa prise.
Il jeta les deux prisonnières au pied du bureau du démon qui avait accueilli Ash quelques jours plus tôt. La louve redevint aussitôt humaine.
— Elles ont tenté de s’échapper, lâcha-t-il simplement avant de se poster derrière elles, bras croisés.
Le démon émit un claquement de langue agacé :
— Et où comptiez-vous aller comme ça ? Vous croyez qu’on peut entrer et sortir comme dans un moulin ? Une fois en Enfer, on y reste pour l’éternité !
— Justement, c’est là qu’on veut aller, derrière ces portes, avoua Ashley en désignant le couloir au bout duquel se trouvait l’entrée de l’Enfer. Et je connais certains démons qui ont rejoint mon monde… avança Ash, alors pour ce qui est de rester pour l’éternité...
— Les démons ne sont pas morts, ma chère. Ils peuvent aller où bon leur semble.
— Nous non plus, on n’est pas morte ! remarqua Ena.
— Vous êtes des anomalies. Anomalies qui vont rapidement être corrigées, mais puisque vous êtes si impatientes, je vais exaucer votre souhait.
Ashley fut la première à être sondée par le démon. À nouveau, elle le sentit au plus profond de son âme. Cette fois, il s’attarda longuement, analysant chaque parcelle de son être, son passé, ses choix… Elle était impuissante et subit l’examen comme si elle était devenue témoin de sa propre vie : les discussions avec Harvey sur la vie de loup-garou, l’importance de la meute, son choix de ne plus se transformer, les hommes sans visage qui avaient traversé sa vie, ces corps désirés que pour la seule jouissance qu’ils lui apportaient, pour étouffer temporairement ses instincts qui se faisaient de plus en plus présents à mesure que la louve en elle suffoquait… Sa relation avec Zane fut elle aussi scrutée. Cet amour qui était né si brusquement et si intensément la rendait vulnérable. Devenir mère la terrifiait. Et si elle était incapable de protéger ce bébé des dangers de ce monde ? Si elle disparaissait avant d’avoir eu le temps de le connaître, comme ses parents étaient morts alors qu’elle n’était qu’un nourrisson ?
Lors de la poignée de secondes que dura l’examen de son âme, Ashley avait été confrontée à elle-même, sans filtre. Elle s’écroula à genoux et en pleurs lorsque le démon se tourna vers Ena.
La jeune femme vit le visage de la fée se pétrifier. Une larme roula lentement sur sa joue avant qu’elle aussi ne s’effondre une fois l’examen terminé.
— Eh bien, on dirait que vous vous êtes bien trouvées mesdames. Vous expierez donc ensemble. Antée, deuxième cercle !
— Expier de quoi ? demanda Ashley paniquée.
Ena se releva avant qu’Antée ne s’en charge pour elle.
— La luxure, très chère. À priori, la libération sexuelle n’a pas pris ici bas, regretta la fée.

Ashley Winston	Ena Hostblad

Enfer, vendredi 1er juin
À perte de vue s’étendait une mer grise surmontée d’un ciel chargé de lourds nuages lugubres. De temps à autre, un éclair s’en échappait et venait frapper la surface de l’eau de son arc blanc. Les embruns tourbillonnaient dans le vent glacé et cinglaient le visage d’Ashley qui luttait de toutes ses forces contre l'inéluctable. Deux démons maintenaient la louve fermement par les bras et la traînaient vers le bord de la falaise sur laquelle ils se trouvaient. En contrebas, la chef de meute percevait un mouvement constant dans l’eau. Des corps qui se débattaient, grouillaient à la surface. Terrorisée, elle regarda en arrière. Si Zane voulait la sauver, ça aurait été un bon moment. Mais son compagnon n’était pas là. Derrière, il n’y avait qu’Ena qui luttait tout aussi impuissante entre les démons qui l’encadraient et leur hurlait à tous :
— Lâchez-là ! Elle est enceinte !
Mais les démons n’avaient cure de ses suppliques. Ils ricanèrent lorsqu’ils précipitèrent Ashley dans le vide. Cette dernière poussa un cri de terreur puis disparut dans les flots sombres qui s’écrasaient violemment contre les rochers, trente mètres plus bas.
La jeune femme eut le réflexe de prendre une inspiration juste avant de percuter la surface. L’eau glacée lui transperça la peau tel un millier d’aiguilles. La visibilité était faible. Ash commença à battre des pieds pour rejoindre tant bien que mal la surface. Le courant l’entraînait vers le large, elle devait redoubler d’efforts alors que ses poumons commençaient déjà à brûler. Des bulles d’air s’échappaient de ses narines et bientôt, elle devrait lutter pour ne pas prendre une inspiration. Elle s’aida de ses bras, la surface ne devait plus être loin. Le froid engourdissait ses membres. Elle sortit enfin la tête de l’eau et inspira une longue goulée d’air. Ashley chercha à se repérer, pivota la tête pour repérer la falaise et ne vit pas la vague déferler sur elle. L’eau pénétra dans ses bronches alors qu’elle était propulsée vers les fonds marins. La panique envahit la chef de meute qui pendant quelques instants ne sut plus distinguer le haut du bas. Elle força ses muscles à un nouvel effort vers ce qui lui semblait le plus lumineux. Elle toussa et cracha lorsqu’elle atteignit la surface. Cette fois, elle était prête et surveilla les vagues. Elle prit une grande inspiration et plongea sous le rouleau suivant avant d’être emportée. Les choses se passèrent un peu mieux, mais elle se sentait prise dans un va et vient puissant contre lequel elle ne pouvait pas lutter. Elle chercha Ena du regard et réalisa qu’elle n’était pas la seule à lutter dans les flots. Ils étaient si nombreux autour d’elle… toutes ces âmes suppliciées ! Elle appela la fée aussi fort qu’elle pu. Une nouvelle vague arriva, elle plongea dessous mais sentit son corps reculer malgré ses efforts pour nager. Les rochers se rapprochaient dangereusement. À bout de souffle, elle appela encore. À une dizaine de mètres, une chevelure rousse flamboyante contrastait sur le gris de la mer. Ena était près de la falaise, trop près des rochers. Ash lui hurla de nager vers elle, mais la fée peinait à garder la tête hors de l’eau. Ash se hâta et oublia de surveiller les vagues. Elle fut emportée dans l’écume, son corps projeté contre un rocher immergé. Le choc chassa l’air de ses poumons et elle poussa un cri inaudible sous l’eau lorsque ses côtes se brisèrent et que sa chair se déchira sur les bords acérés des coquillages agglutinés sur le rocher. L’eau salée irritait sa gorge tandis qu’elle se frayait un chemin vers ses poumons. Son cœur allait exploser dans sa poitrine tant il battait fort. L’adrénaline envahissait son corps. Il fallait qu’elle sorte de cette lessiveuse avant de finir noyée ou broyée.
Ashley se transforma en louve sans même y penser. L’animal prit appui sur le rocher et se propulsa vers la surface à l’aide de ses pattes arrière. Elle cracha l’eau de ses poumons et reprit petit à petit une respiration normale. La louve nagea jusqu’à la fée qui disparut quelques instants sous une vague qui la projeta contre un rocher. Lorsque celle-ci aperçut la bête, elle s’agrippa fermement à ses poils et toutes les deux joignirent leurs forces pour nager le plus loin possible de ces rochers. Quelques uns tentèrent de s’accrocher au pelage noir. La louve se sentant menacée n’eut pas de pitié et mordit tous ceux et celles qui essayèrent pour les faire lâcher prise.
Les efforts finirent par payer et les deux complices cessèrent d’être ballottées par les vagues. Au large, la houle leur permettait de nager plus aisément. Ena lâcha sa prise et Ash se retransforma aussitôt. Les deux jeunes femmes étaient épuisées.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda la fée essoufflée.
Du sang s’écoulait d’une profonde plaie sur son front. Ashley souffrait le martyr. Elle avait repéré une crique au loin, mais difficile d’estimer les distances. Elle en désigna la direction à Ena :
— Par là, on devrait pouvoir rejoindre la terre ferme sans passer dans un rouleau compresseur.
Ash baissa le regard vers son flanc. Ce n’était pas beau à voir, un lambeau de chair semblait flotter et beaucoup de sang s’échappait de la blessure. Elle préféra ne pas y penser et se concentrer sur leur nouvel objectif.
Chaque brasse effectuée, une douleur à la limite de ce qu’elle pouvait endurer lui lardait les côtes. Ena, elle, avait une respiration sifflante. Impossible de savoir depuis combien de temps elles nageaient, mais la crique semblait encore terriblement lointaine aux deux jeunes femmes qui s’épuisaient et s’affaiblissaient petit à petit.
— J’en peux plus ! gémit Ena en se tournant sur le dos.
— T’arrête pas !
— Il faut que je me repose un peu, dit-elle en se laissant flotter.
Ashley hésita, c’était tellement tentant… Elle aussi voulait se reposer, que cette douleur disparaisse, mais si elles stoppaient maintenant, elles n’auraient pas la force de reprendre, l’une comme l’autre.
— Non ! Il faut continuer, on y est presque ! l’encouragea Ash.
Elle n’attendit pas de réponse et saisit Ena par le bras, la forçant à se remettre en route. La chef de meute avait le regard fixé sur la crique. Elle essayait de faire abstraction de la douleur mais ça devenait compliqué. Elle avait perdu beaucoup de sang et l’adrénaline avait depuis longtemps quitté ses muscles. L’eau glacée les engourdissait un par un, Ash peinait de plus en plus à avancer. Elle se sentit faible tout à coup et eut à peine le temps de prendre une inspiration avant de s’enfoncer sous l’eau. Se maintenir à la surface devait plus difficile à mesure que les vagues se faisaient de plus en plus fortes en déferlant le long de la côte. Les deux jeunes femmes furent entraînées dans les rouleaux. Elles n’avaient plus la force de lutter. Ashley but à nouveau la tasse et perdit connaissance. Ena la rattrapa tant bien que mal et la traîna en boitant hors de l’eau, sur une petite plage de sable noir avant de s’effondrer à ses côtés, inconsciente elle aussi.

Ashley Winston	Ena Hostblad	Z

Enfer, 2ème cercle
Ashley se réveilla, la tête lui tournait encore, elle se sentait lessivée, vidée de toute force. À côté d’elle, Ena reprenait doucement connaissance en toussant. Le ciel était toujours chargé de nuages menaçants, la falaise se dressait au loin, implacable. La louve aperçut des formes qui chutaient brutalement du haut de la falaise. Parfois, au gré du vent, les hurlements des âmes suppliciées parvenaient jusqu’à ses oreilles, elle détourna les yeux. Les deux femmes semblaient seules sur cette plage. Le vent froid qui soufflait fit grelotter les naufragées. Ashley regarda de part et d’autre. Sur sa gauche, la plage continuait à perte de vue. Lorsqu’elle porta son regard sur sa droite, elle fut étonnée de voir une forme se diriger vers elles. On aurait dit un homme de taille moyenne, vêtu de blanc, il marchait pieds nus en se rapprochant d'elles lentement, il souriait.
— Tu connais ? demanda Ashley en forçant sur ses yeux.
— J'aimerais bien, lui répondit simplement Ena en avisant l'inconnu.
Les deux jeunes femmes se dressèrent sur leurs pieds pour attendre cet inconnu. Maintenant à une vingtaine de mètres seulement, Ashley distingua les traits de l'homme. Son visage était imberbe et harmonieux, il émanait de lui une sorte de lumière. Ses yeux noisette lui souriaient, il leva la main droite en signe d’apaisement. Ashley lui donna trente ans au plus, mais quelque chose dans son allure et ses prunelles lui rappelait quelqu’un. Quelqu’un de proche. À moins de dix mètres, l'inconnu mordilla alors sa lèvre inférieure en la regardant...
Le cœur de la louve bondit dans sa poitrine. Le visage était plus jeune, plus lisse et débarrassé de toute imperfection. Son œil gauche était clair et sain et l’homme ne portait pas de barbe. Se pourrait-ce que...
Ashley s’avança vers Zane dès qu’elle le reconnut. La douleur se rappela aussitôt à elle. Sa main se porta jusqu’à ses côtes, elle appuya pour maintenir la chair et contenir le saignement. Dès qu’ils furent suffisamment proches, elle se figea un instant. Z devinait dans les yeux fixés sur lui les questions qui se bousculaient dans l’esprit de la jeune femme, mais elle garda le silence et s’avança vers lui, prête à se jeter dans ses bras.
— N'avance pas plus, mon amour, fit Z en s'arrêtant à deux mètres d'elle.
Il l'observa attentivement et repéra les blessures de sa bien aimée.
— Tu m'as tellement manqué ! rajouta-t-il.
Il se retenait de la prendre dans ses bras, cela se voyait.
— Toi aussi, tu m’as manqué, répondit-elle. Pourquoi tu veux que je m’arrête ? lui demanda-t-elle hésitante.
— Ferme les yeux, lui demanda-t-il.
Ashley s’exécuta et sentit le souffle de Z sur son visage. Allait-il l'embrasser après avoir refuser de la prendre dans ses bras ? Elle entendit un murmure rassurant, elle ne comprenait pas la langue, mais saisissait l'intention, la douceur des paroles prononcées. C'est alors qu'elle ressentit un bien être fou l’envahir. D’abord une chaleur dans ses lèvres qui se répandit dans tout son corps et qui la débarrassa de toute douleur. Elle ouvrit alors les yeux pour voir son bien aimé penché sur elle, ses lèvres à quelques centimètres des siennes et comme un mince filet de lumière partant de sa bouche pour atterrir dans la sienne. Le filet d'énergie se tarit puis s'arrêta complètement. Ashley se sentit parfaitement bien.

— Merci. Est-ce que je peux te toucher maintenant ?
— Je suis désolé Ashley, répondit Z, ce n'est pas possible.
— Je suis blessée aussi ! intervint alors Ena, en levant la tête et en fermant les yeux.
Elle ne put s'empêcher de sourire.
— Qui est-ce ? demanda Z.
Ashley, visiblement frustrée, prit une profonde inspiration avant de répondre :
— Voici, Ena Hostblad, héritière du royaume d’Automne. Nous nous aidons mutuellement. Tu peux la soigner ?
— Bien sûr.
L'homme se rapprocha de la fée qui avait gardé la tête levée et les yeux fermés. Il se pencha vers son visage. Ashley observa la scène intriguée. Son aimé prononça alors des paroles dans cette langue qu’elle ne comprenait pas et vit ce filet de lumière sortir de la bouche de son Zane et être comme aspiré par celle d’Ena. Lorsque ce fut fini, les blessures de la fée furent refermées. Cette dernière ouvrit les yeux émerveillés par ce qu'elle venait de vivre.
Z recula.
— Encore ! fit la fée, j’en veux encore !
Ashley sourit.
— Ena, voici Zane.
La fée eut l’air surpris :
— Tu ne m’avais pas dit que ton loup avait ce genre de pouvoirs, cachotière !
— Parce que le Zane que je connais n’en a pas.
Son regard passa un instant sur l’homme avant de revenir sur la fée :
— Ça t’embête si…
— Vous avez des choses à vous dire, l’interrompit Ena, je comprends. Je vais aller faire un petit tour par là. Le grand air me fera du bien après tout ce temps en cellule.
La fée s’éloigna rapidement. Ashley s’approcha de Zane, prenant soin de ne pas le toucher malgré son envie.
— Alors, tu vas m’expliquer tout ça ? lui demanda-t-elle.
— Mon Seigneur m'a comblé, Ashley, répondit simplement l'homme.
Lisant l'incompréhension dans le regard de la jeune femme, Z retira le haut de son vêtement ce qui découvrit son torse. Il était couvert de motifs rectangulaires, qui partaient des clavicules et descendaient jusqu'à la ceinture. Cette écriture était peinte à même la peau avec une encre de couleur verte sombre.
Ashley parcourut du regard les nombreux motifs puis releva la tête vers Zane :
— Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? Ça veut dire quoi “le Seigneur m’a comblé” ? Tu viens ici avec des allures de messie imberbe et tatoué… Tu es différent, et je ne sais pas comment je dois le prendre, se confia-t-elle.
— Nous sommes dans un endroit spécial n'est-ce pas ? Ildefonso m'a prévenu que notre apparence pourrait être différente. Il m'a dit qu'il était possible que je prenne celle de mes trente ans. Voilà Ashley, j'imagine que c'est ainsi que mon âme se voit, mais je suis le même mon amour ! Le même qui t'aime et qui est venu jusqu'ici pour t'aider à sortir de là.
Z reprit son souffle avant de poursuivre :
— Ceux-ci, fit il en désignant son torse, sont des versets en hébreux issus des psaumes de David. Ils nous aideront dans cet endroit.
Ashley s’observa quelques instants. Sa blessure au ventre était refermée, comme les nombreuses coupures infligées par les coquillages et la roche.
— Je n’ai pas l’impression d’être différente. J’ai même eu du mal à me transformer en louve… Qu’est devenu mon corps d’ailleurs ? Je me suis vue lorsque tu me retenais au dessus du vide. C’était… Et ton corps, où est-il ? demanda-t-elle pour chasser le souvenir de sa chute.
— Ton corps a été plongé en stase lorsque ton… âme a été aspirée. Le mien est tout proche du tien. Ils nous attendent. Écoute Ashley, je n'ai pas toutes les réponses concernant cet endroit, Ildefonso en sait sans doute beaucoup plus long sur ce sujet.
Z plongea son regard dans le lointain et dans des souvenirs encore récent...

Quelques jours plus tôt :
— Ildefonso, aidez-moi, je ne sais plus quoi faire, commença Z.
La nervosité du privé était palpable, l'homme était acculé.
— Calmez-vous, qu’y a-t-il, Zane ? Expliquez-moi, lui répondit le cardinal.
Le détective saisit son courage à deux mains :
— Je dois aller en… en Enfer ! souffla-t-il doucement en observant attentivement le cardinal.
— Notre Seigneur en décidera le moment venu, lui répondit prudemment le prélat.
— Je ne pensais pas au jour du jugement, s’agaça le privé, je veux dire là, maintenant !
Quintana prit un air résigné :
— À vrai dire, je m’y attendais, lâcha-t-il. Axel m’a tenu au courant de la situation d’Ashley Winston, c’est une tragédie.
Le cardinal prit un instant avant de poursuivre :
— C'est une femme très courageuse, admit-il, mais vous n'êtes pas obligé d’y aller ! Savez-vous que c’est un voyage extrêmement dangereux que vous voulez entreprendre ?
— Bien sûr que je dois y aller ! s’emporta le privé, les mages…
— Les mages ne savent rien ! coupa le cardinal.
— Si je suis encore là pour vous parler c’est grâce à elle ! Elle m’a sauvé plus d’une fois et… elle est enceinte !
— Je vois, s'adoucit le cardinal.
— Je ne peux pas l’abandonner, Ildefonso, vous comprenez ? C’est au dessus de mes forces ! Je dois y aller, quel qu'en soit le prix.
Suite à cette déclaration, le silence s’éternisa entre les deux hommes.
— Hé bien, mon ami, rompit le cardinal, si vous devez y aller, il faut vous préparer un minimum !
Le prélat se dirigea alors vers la porte sous le regard étonné de Z.
— Au confessionnal, Zane ! lança Quintana sans se retourner, commençons par vous purifier de vos péchés.
Le cardinal maniait son fauteuil roulant à la perfection et s'installa dans le confessionnal sans effort.
Le confessional, pensa Z, cela faisait des lustres qu’il ne s’était ouvert de ses fautes à son Seigneur. Il était temps de réparer cette lacune.
Lorsqu’il pénétra dans l’abri, il ne sut par quoi commencer, mais quand il prononça les paroles consacrées, les mots sortirent de sa bouche comme un torrent.
Lorsque le pénitent sortit finalement du confessionnal, il se sentit soulagé du poid de ses fardeaux, purifié de ses péchés, en paix.
— Merci padre, fit Z en aidant le cardinal à s'asseoir dans son fauteuil.
Bien que nulle aide ne lui fut nécessaire, Ildefonso laissa le privé faire et lui fit un signe de la tête.
— Repassez demain, Zane, ajouta Quintana en se calant.
— Pour quelle raison ? s’enquit le privé en fronçant les sourcils.
Le prélat le regarda un instant :
— Pour l’extrême onction ! Vous avez déjà oublié votre catéchisme, mon ami ? fit-il en souriant.
Le lendemain, le cardinal Quintana procéda au rituel avec une huile consacrée. Z cru que son ami avait finit et commença à se relever.
— Ce n'est pas terminé, le retint le cardinal, restez allongé, nous allons vous munir de quelques outils qui vous seront, je l'espère, fort utiles…


— Ce sont ces inscriptions qui te donnent ce... pouvoir.
La jeune femme s’assit, tournée vers l’océan. Elle enfouit ses mains dans le sable pour s’empêcher de toucher son compagnon.
— Qu’est-ce qu’il se passera si je te touche ?
— Ces inscriptions ont été tracées avec une huile sanctifiée très spéciale m'a dit Ildefonso. Elles me confèrent une sorte de grâce qui nous aidera à affronter les épreuves qui nous attendent. Si tu me touches, s'arrêta Z, si tu me touches, je risque de perdre ce qui m'a été donné. Crois-le, Ashley, j'aimerais tellement…
J'aimerais tellement quoi ? La prendre dans mes bras ? La serrer très fort ? La couvrir de baisers et puis quoi ? Lui faire l'amour là, tout de suite ?
Z se mordit la langue.
N'y pense même pas ! C'est le meilleur moyen de tout faire échouer !
Après un instant de silence, le privé reprit :
— L'épreuve d'Orphée lorsqu'il eut rejoint Eurydice était de ne pouvoir se retourner pour la voir alors qu’ils remontaient tous les deux à la surface. Le notre est de ne pouvoir nous toucher. Mais au moins nous pouvons nous regarder, fit-il en s'asseyant et en tournant son visage vers sa bien aimée.
— Ouais, les dieux sont vicieux, cruels et hypocrites !
Lorsqu’elle tourna la tête et croisa le regard tendre de Zane, toute colère disparut, laissant place à la peur.
— Tu crois que le bébé va survivre à la stase ?
— Je le crois !
— Je suis heureuse d’avoir ce bébé avec toi, Zane. J’aurais dû te le dire bien plus tôt, et j’ai eu peur de ne jamais pouvoir le faire. Pardonne-moi.
L'aveu de son aimée alla droit au coeur de Zane. Il pensait jusque là qu'Ashley n'était pas prête pour un enfant, qu'elle ne l'avait pas accepté, pas encore.
— Je suis le plus heureux des hommes quand je suis avec toi et le plus malheureux lorsque tu es éloignée. Tu es déjà pardonnée et j'espère que tu me pardonneras aussi. J'ai eu quelques paroles malheureuses et je m'en excuse, sache que je n'ai jamais douté de toi. Mais pour offrir un avenir à cet enfant, nous devons sortir d'ici et vaincre le gardien de ce cercle. Je crois savoir où se trouve le Sceau…
— Le gardien de ce cercle ? Il n’y a pas d’autre moyen ? J’ai tenté de m’en prendre au gardien de notre cellule, il m’a écrasée comme un moucheron, alors que j’étais louve, et ce n’était même pas un démon !
— Tous les gardiens ont des faiblesses, il faut les retourner contre eux. Celui de ce cercle se nomme Minos. Mais peut être existe-t-il un autre passage.
Z réfléchit quelques instants :
— Les Enfers sont parcourus par un fleuve, nous pouvons peut-être l'emprunter ?
— D’accord.
La jeune femme tourna la tête vers la droite et observa la fée qui déambulait les pieds dans l’eau. Ash se fixa à nouveau sur Zane :
— Je lui ai fait une promesse, tu sais. Si on arrive à partir d’ici, je veux l’aider à retrouver son corps.
Elle raconta à son compagnon l’histoire de la fée, comment elle avait été trahie et croupissait ici depuis que sa meilleure amie avait pris place dans son corps.
— Ena est parfois exubérante, mais elle est drôle, et on a des points communs toutes les deux. Elle a réussi à tenir le coup ici, toute seule. Je l’admire, je crois qu’à sa place, je serais devenue folle à attendre indéfiniment dans cette cellule. Tu m’aideras à la sortir de là ?
Zane enfila son vêtement et avisa la fée :
— Bien sûr, fit-il comme si la réponse était évidente.

_________________
Administrateur du forum

Ashley Winston	Ena Hostblad	Z

Enfer, recherche du fleuve

Le trio marchait depuis un moment, guidé par Zane qui les éloignait de l’océan et de ses suppliciés. Ils cherchaient le fleuve qui leur permettrait de naviguer dans les différents cercles de l’Enfer. Ashley s’habituait petit à petit à cette version en apparences lisse du privé. Au fond, il était toujours l’homme dont elle était tombée amoureuse, avec ses failles et ses blessures. Elle lui conta dans le détail ce qui lui était arrivé depuis que son âme avait été aspirée hors de son corps. Lui écouta sans l’interrompre, l’air concentré, comme s’il enregistrait tout ce que sa compagne avait enduré, comme s’il revivait ces instants avec elle.
— Je suis désolé que tu aies eu à traverser tout ça, dit-il simplement lorsqu’elle eut terminé son récit.
Leurs regards se croisèrent. Elle décela plus que de la compassion dans les yeux de son compagnon. Une lueur de désir le consumait et réveilla quelque chose au creux du ventre de la jeune femme. Être si près de lui et ne pas pouvoir le toucher était à la fois frustrant et troublant. Tous les sens de la louve étaient exacerbés. Le son de sa voix devenait caresse, l’odeur de sa peau l’enivrait. Comment pouvait-il avoir une odeur alors qu’il n’était qu’une âme ? Ashley détourna le regard droit devant elle pour réfréner son envie de se jeter dans ses bras. Zane sourit, parfaitement conscient du trouble de son amante.
Ena, qui marchait à côté de la louve, se racla discrètement la gorge, rappelant sa présence au couple.
Zane lui demanda comment elle avait atterri ici et la fée s'empressa de lui raconter son histoire.
Lorsqu’elle eut terminé, Ena observa le privé qui réfléchissait.
— Par quel moyen ton amie a-t-elle pris possession de ton corps et envoyé ton âme dans cet endroit ? demanda prudemment Z.
Les yeux clairs fixèrent l’homme avec intensité.
— Est-ce si important ?
Elle haussa les épaules et son regard se perdit au loin devant elle.
— Si Ashley et moi avons eu la même condamnation, ça vous donne une petite idée de… mes divertissements à la Cour. Je suis la dernière née de la fratrie, je n’avais aucune responsabilité. Mon frère aîné prendrait la succession de mon père à sa mort, moi, je n’avais qu’à profiter de la vie jusqu’à ce qu’il me faille me marier. J’avais bien l’intention d’en profiter d’ici là.
— Un mariage arrangé ? s’enquit Ash.
— Seulement si je ne trouvais personne avant mes 25 ans. J’avais encore de la marge, jusqu’à l’accident… Mes deux frères sont morts et je me suis retrouvée en première ligne pour la succession. Mais je n’avais rien demandé, et surtout, j’étais pas prête à ça. C’est à cette époque qu’Audrica et moi nous sommes rapprochées. Elle était ma bouffée d’air quand j’étouffais sous le protocole. Je n’étais plus libre de faire ce que je voulais, tous les regards étaient tournés vers moi. J’ai bêtement cru que son amitié était sincère.
La fée perdait de sa superbe au fur et à mesure qu’elle se confiait. Les souvenirs lui serraient la gorge et sa voix était étranglée quand elle reprit :
— Un soir, elle m’a proposé une escapade dans votre plan, histoire de souffler un peu, loin des commérages de la Cour. Elle avait réservé une suite au dernier étage du Plaza.
— Sur Central Park ? l’interrompit Ash épatée.
— En existe-t-il un autre, très chère ? Bref, elle m’a dit avoir invité deux amis pour égayer notre soirée. On s’est pomponnée en attendant que ces messieurs arrivent. Lorsqu’ils ont débarqué une bouteille de champagne à la main, je ne me suis pas méfiée. On a trinqué et très rapidement, j’ai commencé à me sentir bizarre. Audrica m’a proposée de m’asseoir. J’avais l’impression d’être paralysée. J’ai commencé à paniquer et elle m’a baillonnée. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, ni pourquoi elle faisait cela.
Ils m’ont allongée sur le sol, les deux gars ont versé une sorte de sel tout autour de moi en murmurant dans une langue inconnue. Je n’oublierai jamais le regard d’Audrica cette nuit-là. Elle me méprisait et savourait cet instant. Son plan avait fonctionné et moi, je n’avais rien vu venir.
Ena retomba dans le silence. Ashley prit la main de la fée dans la sienne.
— Je suis désolé pour tout ce qui a pu vous arriver, répondit Z sincèrement navré, c'est tellement injuste, votre place n'est pas ici.
Après quelques instants de silence, le privé poursuivit, sur un ton compatissant :
— Je vous aiderai du mieux que je le peux, même si nos options sont limitées. Dites-moi, Ena, si la providence le permet, que ferez-vous une fois de retour chez vous ?
— Je sais que la royauté impressionne, mais tu peux me tutoyer mon chou.
Au surnom, Ashley lança un regard à son compagnon et lui fit un clin d’œil. Elle avait eu le temps de s’habituer à la fée et ses frasques en cellule. Ena poursuivit, inconsciente de son effet :
— Tu veux dire une fois que j’aurai récupéré mon corps ? Je ne le sais pas vraiment. Je n’ai aucune idée du temps que j’ai passé ici. Peut-être que je suis vieille et flétrie, que mon père est mort sans même que je le sache. J’ai surveillé comme j’ai pu les âmes qui arrivaient dans le bureau de Minos, mais il y en a tellement, il ne serait pas impossible que je l’ai manqué.

Le silence était retombé. Impossible pour eux de déterminer le temps qui s’écoulait. La pluie commença à tomber sur les marcheurs. Ash leva les yeux mais ne vit aucun nuage, juste un ciel gris. Malgré la sensation de chute qui l’avait amenée en Enfer, elle doutait que l’endroit se trouve réellement dans les entrailles de la Terre. Peut-être un de ces plans parallèles…
Une odeur nauséabonde vint leur agresser les narines. Sous leurs pieds, le sable et la terre avaient laissé place à une membrane visqueuse rougeâtre.
— Qu’est-ce qui sent comme ça ? demanda Ena en grimaçant. On dirait de la viande avariée qui aurait été digérée puis vomi.
— On est tout proche du 3ème cercle, ici est puni le péché de la gourmandise, expliqua Z. Le fleuve devrait être juste derrière cette colline.
— Rassure-moi, joli cœur, tu ne comptes pas nous faire traverser cette fosse à purin ? J’ai un rang à tenir, moi.
— On va trouver un moyen d’éviter ça, princesse, répondit-il en mettant l’accent sur le titre.
La fée passa le bras sous le coude d’Ashley :
— Ma chérie, t’a tiré le bon numéro, je suis jalouse. Il n’aurait pas un frère ? Ou même une sœur, je ne suis pas difficile.
Le visage de Zane se ferma à l’évocation de Ray. La louve soupira, Ena ne pouvait pas savoir :
— Son frère est un chasseur, rien ne lui ferait plus plaisir que de nous tuer tous les trois.
— Oh… Eh bien, si les choses ne vont plus entre vous un de ces jours, tu sais où me trouver, beau brun. Moi, ces regards mélancoliques, ça me donne des envies de cajoler.
Ashley s’apprêtait à lui répondre lorsqu’elle perçut quelque chose dans le vent. Des voix. Elle se tourna vers Zane :
— Tu entends ? Ena, pas un bruit.
La fée écarquilla les yeux, surprise, mais garda le silence. Zane tendit l’oreille. Dans le vacarme des millions de gouttes qui percutaient le sol autours d’eux, il capta également les voix qui provenaient de l’autre côté de la colline qu’ils grimpaient. Ils allèrent jusqu’au sommet et se cachèrent derrière un gros rocher à la surface poisseuse. Ash et Zane se risquèrent à observer l’autre versant. Le fleuve était bien là, et sur sa rive, trois démons. Le plus petit se courbait vers l’avant, épaule rentrées. Le fleuve derrière lui, il reculait à mesure que les autres avançaient. Les cornes sur son front ressemblaient plus à deux appendices atrophiés. Les ailes dans son dos étaient bien trop petites pour le porter où que ce soit. Face à lui, les deux autres démons semblaient en bien meilleure condition.
— Non, non, non. Rien pour vous !
— Qu’est-ce que tu caches là-dedans, Abraxis ? demanda l’un d’eux en désignant la barque derrière le petit démon.
L'intéressé secoua la tête :
— À moi !
Le plus grand démon donna un coup de coude à son comparse :
— Tu vois ça, Ob ? Y’a deux secondes, il disait qu’il avait rien. J’aime pas les sales petits menteurs dans son genre.
— Ouais, moi non plus.
Les deux s’avancèrent menaçant vers Abraxis. Ashley interrogea Zane du regard.
Z fit signe de contourner les deux brutes pour leur tomber dessus par surprise. Il s’assura que tout le monde comprit et accepta la manoeuvre. Ashley murmura à la fée de rester cachée puis se transforma aussitôt en louve. Elle jeta un dernier coup d’œil à Zane avant de se faufiler en contrebas de la colline. Elle prendrait les démons par la droite.
C’était la première fois que le privé voyait Ashley sous cette forme, une magnifique louve au pelage sombre. D’instinct, elle prenait discrètement le chemin le plus à l’abri des regards. Z se concentra, mais devant la situation tendue et urgente il n'établit aucun contact avec sa partie animale. D’ordinaire, Z tenait le loup à distance mais maintenant qu’il avait besoin de lui, il ne savait comment le joindre.
— Tant pis, murmura-t-il, on va faire autrement.
Zane, descendit à son tour aussi discrètement que possible. De rocher en rocher, il se rapprocha du groupe des démons.
La louve surveillait la progression de son compagnon, lorsqu’il fut à portée des démons, elle bondit sur Ob. Il bascula en avant avant d’avoir l’occasion de frapper Abraxis. Le démon tenta de se retourner pour riposter lorsque la louve plongea au niveau de sa gorge et la lui arracha. Le second démon s’écarta d’un bond avant de la charger. L’une de ses cornes s’enfonça dans l’épaule de la louve qui lâcha un gémissement en reculant sous l’impact.
Z attrapa le poignet du démon et entama une rapide litanie, lorsqu’il fit, la main de Z se mit à luire ce qui fit hurler le démon de douleur. Il tenta de se défaire de la poigne du privé mais semblait perdre toute force, il ploya le genou, hurlant de douleur et de terreur. Z était calme et déterminé à ne pas lâcher la créature. La lumière s’étendit progressivement au bras du démon et finalement à tout son corps qui disparut dans une gerbe de lumière. Une fois la créature terrassée, Z reprit son souffle, épuisé par l’effort colossal qu’il dû fournir.
Ashley reprit sa forme humaine. Une large plaie saignait au niveau de son épaule. Elle observa son compagnon inquiète :
— Est-ce que c’est dangereux pour toi, ce pouvoir ? demanda-t-elle en grimaçant de douleur.
Une fois son souffle retrouvé, Zane se redressa et fit signe à son aimée d’approcher. Une fois à proximité et sans un mot, il entama les douces paroles qu’il avait déjà prononcées, et encore une fois, le mince filet de lumière sortit de la bouche de Zane pour être aspiré par celle d’Ashley qui sentit le bien-être l’envahir et la guérir.
— Cette grâce qui m’a été accordée est dangereuse dans un endroit comme celui-ci, répondit enfin son bien aimé, et je dispose d’une quantité limitée.
Zane sourit en voyant Ashley aller mieux, il se retint de caresser sa joue et serra son poing à la place…
— Un jour, peut être, fit-il énigmatique.
Ashley lui lança un regard interrogateur. Il vit ses lèvres s’entrouvrir mais elle n’eut pas le temps de poser sa question.
— Hey ! Vous ne croyez pas qu’une barque serait utile ? leur lança Ena depuis la pente de la colline. Le petit ingrat va partir sans nous si vous ne faites rien !
Le petit démon dénommé Abraxis poussait son embarcation de toutes ses forces pour tenter de la remettre à l’eau.
Ashley fut la plus rapide, elle fonça sur la créature suivie de près par Zane. Les jambes courtes d’Abraxis ne lui permirent pas de pousser l’embarcation bien loin. Ashley arriva à son contact.
Le démon se jeta au sol en position foetale :
— Pas lumière qui brûle ! Pas lumière qui brûle !
La jeune femme s’accroupit à ses côtés et lui parla d’une voix douce :
— Nous ne te voulons pas de mal. Nous ne t’aurions pas aidé avec ces deux-là sinon.
Abraxis cessa ses lamentations et jeta un œil suspicieux à la louve.
— Pas tuer Abraxis ?
Elle secoua la tête :
— Pas tuer Abraxis. Nous avons besoin de ton aide.
Elle tendit la main et l’invita à se relever.
— Voici Zane et Ena. Moi, je m’appelle Ashley.
Le démon observa le trio à tour de rôle puis murmura à la chef de meute :
— Abraxis aider elle et toi. Pas lui, ajouta-t-il en pointant furtivement Zane de l’index.
— Je te donne ma parole d’homme que je ne te ferai aucun mal, Abraxis. Je me tiendrai loin de toi si tu le désires, mais nous devons aller au sixième cercle.
Le démon observa Ashley qui lui sourit. Son esprit limité comprit qu’il n’avait de toute façon pas le choix. Soit il emmenait ces étrangers où bon leur semblait, soit ils utiliseraient la lumière sur lui, et cette idée terrorisait Abraxis.
— Lui, derrière, ordonna-t-il.
La barque fut mise à l’eau et le petit groupe prit place à bord.

*

La barque, chargée de ses occupants progressait lentement à contre courant. La pluie n'avait cessé de tomber jusqu'à ce que l'embarcation ait quitté le troisième cercle. Ash n'osait imaginer quelle horrible pénitence attendait les pêcheurs par gourmandise. L'odeur nauséabonde qui régnait ici lui donnait une vague idée. Le voyage ne leur laissa rien deviner du quatrième cercle et personne ne posa de question.
Après un long moment à longer la rive, Abraxis dévia vers le centre du fleuve.
— Pourquoi tu t’éloignes du bord ? lui demanda Ena inquiète.
Il lui lança un regard apeuré :
— Pas qu’ils s’accrochent.
Des plaintes, des gémissements, des cris et des pleurs se mêlaient dans un brouhaha qui donna la chair de poule aux deux jeunes femmes. Zane sentit un frisson glacial descendre le long de sa colonne vertébrale. Le long de la rive, des corps luttaient pour se sortir des eaux boueuses. La fange avait le même effet que des sables mouvants et aspiraient les suppliciés qui s’agitaient vainement. Soudain, un cri désespéré retentit :
— Zane ! Zane ! Aides-moi, je t’en prie !
Le privé tourna la tête en direction de l’appel. Ces cheveux blonds, ce regard qu’il avait connu si accusateur ces dernières années le suppliait maintenant. Amber, sa femme, tendait le bras vers lui.

Ashley Winston	Ena Hostblad	Amber	Z

Vers le 6eme cercle
Amber ? murmura l'homme.
Sur son visage, la surprise se disputait à l'incrédulité.
C'est impossible…
Sous le choc, le privé regarda son épouse se débattre dans les eaux boueuses en le suppliant. Réalisant soudain qu'elle avait besoin de lui, il cria :
— Approche la barque !
Abraxis manifesta aussitôt sa désapprobation, mais quand Z se fit plus menaçant, il obtempéra en grommelant. Zane se pencha sur la proue ce qui fit tanguer le canot. Lentement, ils se rapprochaient de la femme qui s’enfonçait.
— Plus vite ! pressa le privé.
Zane réussit à attraper le bras d'Amber, juste avant qu'elle ne disparaisse dans la mélasse et la hissa tant bien que mal. Une fois la tête hors de l'eau, Amber agrippa désespérément Zane en passant ses bras autour de son cou tout en reprenant son souffle. L'action faillit faire chavirer l’esquif et ses occupants, qui se cramponnèrent et firent contrepoids avec force protestations. Finalement, la femme fut hissée à bord et se retrouva allongée sur Z dont la tenue blanche fut maculée. Amber sanglotait en restant accrochée et blottie contre son mari. Le privé de son côté, rassura la rescapée par des paroles douces et réconfortantes. Elle leva les yeux vers Zane :
— Tu… tu es revenu pour moi ? Je savais que tu viendrais me sauver. Je… je n'ai jamais douté de toi mon amour.
Amber avait les larmes aux yeux, elle était pleine de reconnaissance. Reconnaissante d'avoir été sauvée du supplice dans lequel elle était plongée et reconnaissante de revoir son Zane.
Un peu plus que de la reconnaissance peut être lorsqu'elle approcha son visage de celui du privé.
Zane se redressa, soudainement gêné et jeta un œil aux autres passagers. Il se racla la gorge et fit les présentations :
— Amber, je te présente Ena et Ashley, en désignant tour à tour les deux jeunes femmes.
Et après un moment :
— Ena, Ashley, voici Amber, mon épouse…
Ashley fixa le couple :
— Tu la laisses te toucher, murmura-t-elle incrédule.
Elle accrocha Zane du regard, attendant une explication.
Le privé soutint le regard de la louve. Il n'y avait nulle gêne dans ce regard-là.
— Dois-je vraiment te dire pourquoi je ne peux te toucher ? Tu ne le sais donc pas ?

Ashley secoua la tête et se pinça les lèvres, comme pour s’excuser de ne pas comprendre. À ses côtés, Ena ne cessait de faire des allers-retours de la tête entre Amber et Ash. La louve lui donna un léger coup de coude et lui chuchota discrètement :
— Je t’expliquerai plus tard.
Puis elle reprit d’une voix plus forte :
— Enchantée Amber.
— Je ne vous serre pas la main, annonça Ena le nez froncé, mais le cœur y est. Vous êtes dans un état ma pauvre !
Malgré le moment de flottement dans l'air Amber ne perçut pas les sous entendus, elle posa néanmoins la question :
— Pourquoi ne peux-tu pas la toucher ? demanda-t-elle, curieuse.
— Beaucoup de choses ont changé depuis ton… départ, reprit Zane, et nous sommes dans un endroit où les règles habituelles ne s'appliquent pas. Je t'expliquerai tout plus tard. Dis-moi Amber, sais-tu où tu te trouves ?
Le privé avait mit quelque distance entre eux.
— Je suis morte, je le sais. L’énorme monstre me l’a dit quand je suis arrivée. C’est lui qui m’a envoyée ici, dans cette horrible endroit.
— On est en Enfer, ma chérie ! commenta Ena.
Amber acquiesça aux paroles de la rouquine. Son visage se ferma et elle se tourna vers son mari, quelque peu honteuse :
— Je… je n’aurais pas dû m’en prendre à toi pour ce qui est arrivé à notre fils.
Son visage s’illumina soudain :
— On peut le retrouver, Zane ! Le démon, celui qui a un bureau immense… Je lui ai demandé où allaient les enfants morts. Il m’a parlé d’un endroit, à l’extrémité de ce monde… un lieu paisible, pour les innocents. On serait à nouveau tous les trois.
— Tout ce qui s'est passé est oublié, Amber, je ne garde aucune rancoeur du passé, tu sais. Pardonnes-moi de ne pas avoir été à la hauteur de la situation. J'aurais dû faire mieux.
Le couple se perdit un instant dans des souvenirs n'appartenant qu'à eux, puis Z reprit doucement :
— Tu sais, Jason est revenu... Ne me regarde pas comme ça, je ne sais pas comment, si ce n'est que la magie y est pour quelque chose. Il est bien vivant et se porte comme un charme, exactement comme nous l'avions laissé cinq ans plus tôt. Cela a été un tel soulagement de le revoir et de le serrer dans mes bras.
Zane était visiblement ému par le souvenir.
Ashley se retint de prendre Zane dans ses bras. Elle savait les épreuves qu'il avait traversé et celles qui les attendaient encore avant que père et fils puissent être réunis. Ena se taisait, sentant probablement l'émotion qui avait gagné ses compagnons de route. Abraxis, lui, restait imperméable à tout ça et avait repris les rames pour les emmener doucement vers leur destination.
Des larmes de joie inondaient les joues d'Amber. Son fils était vivant et en bonne santé !
Elle essuya d'un coup son visage et fixa son mari :
— Si Jason est vivant, qu'est-ce que tu fais ici, avec elles ?
— Nous sommes ici pour rechercher le Sceau de Salomon. Nous pensons le trouver quelque part dans la cité de Dité dans le 6e cercle, c'est là que nous allons. As-tu entendu parler du Sceau ?
Amber fit signe de la tête que non. Zane lui raconta alors les événements qui les avaient amené jusqu'ici. L'alliance entre les différentes factions pour défaire dame Cho, les négociations avec les mages et les termes de l'arrangement qu'Ashley avait conclu pour sauvegarder la paix et éviter à Manhattan de basculer entièrement en Enfer.
Lorsque Z eut fini, l'embarcation approcha d'un petit promontoire rocheux. Ĺe démon refusa d'aller plus loin. Ils étaient arrivés au 6e cercle. Tout le monde quitta le canot. Abraxis s'éloigna rapidement sans demander son reste.
— C'est une louve garou ? demanda Amber en désignant Ashley de la tête.
— Oui, répondit simplement le privé, elle m'a sauvé plusieurs fois. La première, c'est quand on m'a poignardé lors de ton enterrement. Je lui dois énormément.
Amber avisa Ashley de la tête aux pieds. La louve restait silencieuse. Cette femme avait énormément souffert et Ash ne voulait pas en rajouter. C’était à Zane de lui parler de leur relation, s’il le souhaitait.
Amber se tourna ensuite vers son mari et perçut le regard qu’il portait sur la jeune louve. Elle aussi avait connu ce regard, il y avait des années de cela… avant que leur petit garçon disparaisse et que leur vie bascule. Il l’aimait, elle en était certaine. Mais cette louve…
Amber s’approcha de Zane. Sa main effleura d’abord son avant-bras avant de remonter jusqu’à l’épaule du privé. Elle caressa ensuite la joue imberbe :
— Et pourquoi ne peux-tu pas la toucher ? demanda-t-elle en lançant un regard provocateur à Ashley.
Celle-ci serra les dents, tentant de maîtriser la pointe de jalousie qui montait. Oui, pourquoi était-elle la seule que Zane ne pouvait pas toucher ?
Amber eut sa réponse : la louve aimait son mari.
Z écarta son visage de la caresse de son épouse. Ce contact familier lui semblait inapproprié.
— Je suis désolé, Amber, fit-il en posant son regard sur la louve. Ashley et moi sommes… ensemble.
Le visage d'Amber s’empourpra, mais Z continua.
— Et si je ne peux pas la toucher, c'est que je perdrais toute la grâce qui m'a été confiée, je dois me garder de tout péché, spécialement ici, avoua le privé.
Le regard d'Amber s'enflamma soudain.
— Et que fais-tu de tes péchés ? lâcha-t-elle, tu te présentes comme le Sauveur alors que tu m'as trompée avec cette… cette délurée ! explosa l'épouse outrée.
— Il ne vous a pas trompé, affirma Ashley d’une voix claire. Vous le connaissez trop bien pour imaginer une seule seconde qu’il n’ait pas été fidèle au serment qui vous liait.
La remarque avait fait mouche, mais la colère d’Amber ne demandait qu’à éclater, elle ne se contrôlait plus :
— J’ai vraiment tout perdu alors ! Mon mari, mon fils ! Et moi, je vais croupir ici pendant que tu me voles ma famille ! accusa Amber l’index pointé sur la chef de meute.
— Je ne vole rien. Jason sera toujours votre fils, rien ne pourra changer ça.
Amber tourna le dos, les épaules secouées par le chagrin. Ashley s’avança jusqu’à elle et passa le bras autour de son épaule. La femme se raidit à ce contact avant de se laisser aller contre l’épaule de la louve.
— Je ne reverrai jamais Jason…, regretta-t-elle.
— Je suis désolée.
Ena s’approcha de Zane et murmura :
— Eh bien, elle est cool ta louve. Je me serais fait un plaisir de recadrer la harpie...
— Ashley a un grand cœur, c'est pour ça que je l'aime, lui répondit Zane en baissant sa voix et en portant un regard plein de fierté sur sa bien aimée...
— Et faire un bébé à toutes tes conquêtes, c’est par amour ou c’est un truc de loup ?

_________________
Administrateur du forum

Ashley Winston	Ena Hostblad	Amber	Z

Enfer, 6ème cercle, Dité
Le petit groupe s’éloigna du fleuve et emprunta un chemin pavé. Zane et Ashley fermaient la marche.
Au détour d’un virage, les deux femmes en tête se figèrent. Au loin, sur la plaine, les contours d’une ville fortifiée se dessinaient d’une lueur orangée sur la nuit noire.
— Vous voulez vraiment aller là-bas ? demanda Ena inquiète.
La ville semblait en proie aux flammes. Chaque meurtrière, chaque fente dans l’immense mur de pierre qui cernait la ville lâchait des volutes de fumées orange. Le long du chemin qui menait au pied de la muraille, des mares de lave en fusion bouillonnaient. La chaleur était écrasante, l'air étouffant.
Zane s’avança sur le chemin :
— Oui, c’est bien là-bas qu’on va.
Ashley lui emboîta le pas, Ena et Amber n’eurent pas d’autre choix que de les suivre. À mesure qu’ils se rapprochaient, ils prirent conscience de la hauteur impressionnante du rempart dont les pierres suintaient un liquide visqueux. Ils se présentèrent à la seule porte visible de ce côté de la ville. Deux démons en armure en gardaient l’entrée. Zane mena son groupe à l’intérieur de l’enceinte sans même un regard pour les soldats en faction. Ashley s’attendit à être arrêtée sur le champ, mais ils restèrent immobiles. Autour du petit groupe, un va et vient incessant animait la large rue qu’ils empruntaient. Ils y avaient énormément de démons, mais ce qui étonna le plus la louve, ce fut les âmes humaines qui allaient parmi eux. Certains se hélaient d’un bâtiment à l’autre. Ici ou là, une bagarre éclatait, des cris, des rires gras, des langues que la louve ne comprenait pas créaient une ambiance de place de marché mêlée à une fin de nuit au Red Moon. Sauf qu’au bar, elle connaissait la plupart de ses clients et les bagarres étaient rapidement interrompues par les videurs. Ici, trois démons entraînèrent un quatrième dans une allée perpendiculaire et le rouèrent de coups avant de lui arracher la tête sans que personne n’intervienne.
Amber émit un gémissement de peur. Zane l’attrapa par le bras et obligea tout le monde à poursuivre leur chemin. Sur ses gardes, il cherchait un endroit précis et son regard faisait des allers-retours de part et d’autre de la rue à la recherche du signe que lui avait indiqué le Cardinal Quintana : un œil à l’intérieur d’un triangle.
Le groupe dépassa un étal qui empestait le poisson avarié. Les créatures exposées étaient un croisement entre un varan et une murène. Leur mâchoire du bas proéminente laissait apparaître deux rangées de petites dents acérées et leur yeux globuleux s’enfonçaient dans leurs orbites. Les deux loups captaient aussi dans l’air des relents de chair brûlée que l’activité de la ville peinait à masquer. Ashley n’avait pas demandé la pénitence pour les suppliciés de ce cercle et elle était maintenant certaine de ne pas avoir envie de la découvrir. Elle fut soulagée lorsque Zane annonça qu’il avait trouvé l’endroit.
Ils descendirent une volée de marches avant de franchir une double porte métallique. L’endroit indiqué par le Cardinal était un bar de démons, encaissé entre deux hauts bâtiments, et lui-même surmonté de deux étages. À l’intérieur, l’éclairage émanait de torches fichées dans le mur et du feu qui brûlait dans la large cheminée qui occupait le mur du fond. À gauche de l’entrée, un long bar taillé dans la pierre soutenait son lot d’habitués. Le groupe se faufila entre les tables. Le sol était collant sous leurs pieds. L’hygiène n’était visiblement pas une priorité dans l’établissement. Zane conduisit les trois femmes jusqu’à un box libre sur le mur de droite. Il parcourut ensuite la salle des yeux jusqu’à trouver celui qu’il cherchait. Assis seul à la table la plus proche de la cheminée, un vieil homme détonnait dans le décor avec le col romain qui lui enserrait le cou. Zane alla à sa rencontre. Les cheveux courts blanchis par les années, il se tenait légèrement voûté, mais lorsque le privé approcha, c’est un regard vif que l’homme leva sur lui.

— Père Gabriel ? demanda doucement Z.
L'homme scruta le privé qui se tenait face à lui et l'évalua rapidement.
— Personne ne m'a appelé ainsi depuis des lustres, répondit le prêtre de sa voix râpeuse, qui êtes-vous ?
— Je m'appelle Zane Zaborowski, répliqua le privé, puis il fit signe aux filles de s'approcher, et voici Ena, Amber et Ashley. Nous avons besoin d'aide.
— Vraiment ? fit le prêtre en avisant le groupe avec étonnement. Pourtant, je ne vois que des inconnus, mais je peux vous donner un conseil gratuit : ne restez pas dans cette ville si vous tenez à votre âme.
Z ne se laissa pas démonter :
— Le cardinal Ildefonso Quintana est mon ami, poursuivit-t-il, il m'a dit que vous pourriez nous aider.
— Quintana est devenu cardinal ? fit le père Gabriel étonné par l'annonce.
Le privé hocha la tête :
— Il est devenu le plus jeune cardinal de l'église catholique à l'âge de 26 ans seulement, confirma le privé, et il est en charge de l’évêché de New-York.
— Pour une surprise… lâcha le prêtre. Et dites-moi jeune homme, qu'est-ce qui vous fait croire que je vais vous aider ici bas ?
— Ildefonso m’a parlé d’une vieille faveur, à cette époque…
— Et vous croyez que les dettes d’alors ont toujours cours ici ? le coupa sèchement le prêtre, dans cet endroit ? fit-il en martelant la table de son index.
Z garda son calme et continua :
— Il m’a demandé de vous transmettre ceci; “Nous avons retrouvé la Colombe et l’avons remise à sa place”, il ne m’a donné aucun détail, renchérit le privé, mais il a dit que cela pourrait vous intéresser.
Le père Gabriel parut ému, ses yeux bleus se perdirent un instant dans des souvenirs lointains.
Il se leva doucement et prit la direction de la porte de sortie :
— Suivez-moi, je vais vous emmener au calme, où on pourra discuter.
La troupe lui emboîta le pas.
Le prêtre les guida dans un dédale de ruelles rouge-orangées, l’ambiance était oppressante, écrasante. Amber et Ena respiraient difficilement, Ashley et Zane jetaient çà et là des coups d’œil rapides. Des plaintes les firent sursauter, tantôt proches, tantôt lointaines.
Le groupe déboucha alors sur une grande place teintée de cramoisie et de vert où se trouvaient d’innombrables tombes. Ces tombeaux, embrasés par le feu, étaient creusés à même le sol, des hommes et des femmes tentaient vainement d’en sortir, mais ils étaient refoulés dans les braises par des gardiennes hideuses. Elles ressemblaient à des femmes, mais leurs chevelures étaient faites de dizaines de serpents entrelacés qui sifflaient dans toutes les directions. Elles étaient dotées de grandes ailes membraneuses qui projetaient leurs ombres menaçantes sur les damnés. De leur main droite, elles jouaient du fouet et de la gauche, elles portaient une torche qui diffusait une lumière verdâtre. Nul condamné n’échappait à leur vigilance.
Soudain, un coup fouet claqua juste à côté d’eux ce qui fit sursauter Ena et Amber qui se blottirent dans les bras l’une de l’autre.
Z approcha et posa une main réconfortante sur leurs épaules :
— Vous ne craignez rien d’elles, dit-il, n’ayez pas peur.
— Hâtez-vous, pressa le prêtre, si elles ne risquent rien, dit-il en regardant les deux femmes, ce n’est pas votre cas, M. Zaborowski.
— Quel endroit affreux, gémit Ena.
— Voici les tombeaux des hérétiques, fit père Gabriel en faisant un large geste du bras, et bienvenue à Dité !
Ashley regarda inquiète en direction des gardiennes :
— Pourquoi Zane serait en danger à cause d’elles ? demanda-t-elle au prêtre.
Le prêtre s’arrêta et regarda la louve de coté :
— Vous plaisantez ?
Ash lui lança un regard noir :
— J’ai l’air de plaisanter ?
Le prêtre reprit la route :
— Votre ami possède la seule chose que tous les habitants des enfers rêveraient d’obtenir… De la grâce, chère enfant, je peux la sentir d’ici, et c’est une terrible tentation…
— Je commence à croire que cette grâce est une malédiction, soupira-t-elle.
— Ne dites pas cela, répondit père Gabriel, tout le monde ferait n’importe quoi pour sortir d’ici, et la grâce est la seule possibilité, malheureusement, on n’en trouve pas par ici, vous comprenez ?
Ashley regarda autour d’elle et comprit soudain. Le ciel lugubre, les pierres noires, les âmes hantant les lieux, les cœurs mornes ; cet endroit était dépourvu de lumière et Zane y faisait figure d’exception.
— Qu’est-ce que vous faites dans cet endroit ? Un prêtre ne devrait-il pas être au Paradis ?
Le guide ignora la question et après un moment de silence :
— Nous sommes arrivés, déclara soudain père Gabriel.
Le groupe s’arrêta devant une bâtisse sombre et inquiétante faite de pierres noires et tordues. Un lieu abandonné et en ruine, comme le reste de la cité.
— Par ici, fit-il en poussant une porte et en invitant ses hôtes à entrer.
Ashley esquissa un mouvement pour retenir Zane avant de se rappeler qu’elle ne devait pas le toucher. Elle maudit cette grâce intérieurement et se figea avant d’entrer. Zane avait dû percevoir son malaise car il se retourna. Il fit un pas vers elle tandis qu’Ena et Ambre pénétraient dans le bâtiment.
— Tu crois qu’on peut lui faire confiance ? lui murmura-t-elle en désignant le prêtre du menton.
Celui-ci affichait un visage rassurant et suivit Amber à l’intérieur.
Le privé sourit à la louve, il se voulait rassurant. C’était toujours perturbant de le voir sans barbe et sans défauts, sans bosses et sans cicatrices.
— Aies confiance.
Ashley fronça les sourcils. Aies confiance, aies confiance… on suit un prêtre au beau milieu de l’Enfer quand même… Elle suivit Zane et referma derrière eux la lourde porte.

Quelque part sur le Styx
La barque filait à bonne allure au milieu des flots. Abraxis connaissait ces eaux par coeur et évitait sans mal les pièges naturels. Il n’était pas mécontent d’avoir abandonné ces humains. Ils ne valaient pas mieux que les démons et Abraxis leur préférait la solitude.
Il mena son embarcation à la frontière entre le deuxième et le troisième cercle et l’attacha à une grosse racine qui débordait sur la berge. Le petit démon, les bras chargés d’une grosse caisse de bois, s’enfonça dans une forêt d’arbres aux troncs tortueux et aux branches si emmêlées qu’elles obscurcissaient le ciel. Il avait hâte d’arriver à sa tanière pour contempler ses trouvailles. Son langage était limité, son corps atrophié un sujet de moquerie récurrent de la part de ses congénères, cela ne l’empêchait pas d’être le roi des voleurs. Qui se méfierait d’un petit démon rabougri ?
Il lui suffisait d’entasser le fruit de sa pêche sur la petite caisse de bois et tout le monde n’y voyait que du feu… À part Ob et Acham qui venaient régulièrement se servir et ne se privaient pas de le rouer de coups. Ils ne viendraient plus l’embêter maintenant. La louve et l’homme aux mains de lumière l’en avaient débarrassé. Abraxis frissonna en repensant au pouvoir du privé.
— Halte là !
L’ordre le fit sursauter. Il obéit en voyant deux démons en armure approcher. La voix appartenait à la femelle aux trois visages : le droit de cheval, le gauche de chien, le centre de femme. Hecate était chargée de la police des chemins.
— Deux de mes gardes sont absents, et celui-là, dit-elle en désignant son acolyte, croit savoir qu’ils venaient te rendre visite avant de disparaître. À quand remonte ta dernière rencontre avec Acham et Ob ?
Abraxis baissa le regard et courba les épaules en soumission.
— Pas moi ! Rien fait !
Hecate s’approcha et jeta un œil dans la caisse que le petit démon serrait contre lui. Elle distingua une ceinture à la boucle en cuivre travaillé, un calice en or et quelques bijoux, dont un collier avec pour pendentif un rubis taillé en goutte, une chaîne d'argent et une grosse chevalière qu'elle n'eut pas le temps de détailler car le démon resserra jalousement sa prise sur la caisse.
— Qu’est-ce que tu transportes là dedans ?
— Mains de lumière les a tué ! Pouf ! Abraxis, rien pu faire.
La démone scruta le rejeton face à elle. Il tremblait et pour la première fois, il soutenait son regard, les yeux terrifiés. Si quelqu’un se baladait avec le pouvoir de la lumière, elle devait en avertir sa hiérarchie.
— Tu vas venir avec nous et nous expliquer en détail ce que tu as vu.

*

Minos abattit le poing sur son bureau dès qu’Abraxis eut terminé son récit.
— J’aurais dû me douter que cette louve n’amènerait que des problèmes !
Il se recomposa un visage plus serein pendant qu’il réfléchissait. La rumeur ne tarderait pas à se propager qu’un être plein de grâce divine se baladait librement en Enfer. Des guerres se déclenchaient pour moins que ça ici bas.
Minos se tourna vers Hecate :
— Trouvez ces humains. Capturez-les si possible, s’ils résistent, éliminez-les.
— A vos ordres.
La démone aux trois visages claqua les talons et quitta le bureau en poussant Abraxis devant elle. Minos se leva et vint se poser devant l’âtre. Le regard perdu dans les flammes, son esprit ne cessait de revenir à la même question : que comptaient faire ces humains du Sceau de Salomon ?

Ashley Winston	Ena Hostblad	Amber	Z	Père Gabriel

Père Gabriel, Dité
Le prêtre les conduisit dans le vaste bâtiment. Le silence régnait en ces lieux, seulement troublé par quelques plaintes et gémissements. Des silhouettes échappaient à leur vue, se dérobaient à leur regard.
— Ne faites pas attention, expliqua le prêtre en remarquant les coups d'œil inquiets, les âmes damnées errent en tous lieux dans cette cité. Elles sont perdues et cherchent une sortie, un échappatoire à leurs malheurs, en vain… Par ici, indiqua-t-il en pénétrant dans une petite pièce. Le réduit était austère et seulement composé d'une armoire, d'un lit, d'une table et de quelques chaises. Il y régnait une odeur de tabac froid.
— Installez-vous, fit-il.
Il fouilla son armoire et y trouva ce qu'il cherchait. Satisfait, Père Gabriel s'assit et alluma une pipe. À chaque fois qu'il tirait une bouffée, le rougeoiement de la pipe se reflétait dans ses prunelles de façon inquiétante.
Le groupe s'installa en silence et attendit patiemment.
— Je vous écoute, lança-t-il, comment puis-je vous aider ?
La louve se sentait oppressée dans la petite pièce qui avait tout d'une cellule et l'odeur qui émanait de la pipe l’écœurait. Elle se posta contre le mur, près de la porte, et laissa Zane répondre au vieil homme.
— Eh bien, père Gabriel, nous sommes à la recherche d'un objet… particulier, avança prudemment Zane, le Sceau de Salomon, lâcha-t-il en observant la réaction du prêtre.
L’homme d'église regarda le privé étonné, la bouche entrouverte. Il se cala sur sa chaise en continuant à le fixer, puis porta son attention sur ses autres invitées. Ashley soutint son regard, cherchant à décoder les réactions du vieil homme qui reprit contenance en portant sa pipe à ses lèvres. Il tira une bouffée qui sembla l’apaiser.
— Beaucoup de gens aimeraient mettre la main sur un tel objet, jeune homme.
Il tira une nouvelle bouffée, un nuage s'était formé au plafond, les volutes dessinant des arabesques improbables. Puis il reprit :
— Mais heureusement, il reste introuvable ! Dites-moi, pour quelles raisons cherchez-vous ce précieux artefact ? Nombres d'hommes et de femmes par le passé ont convoité le sceau, pour la plupart, ils étaient mus par la cupidité, l'avidité et la recherche du pouvoir, certains même pour la connaissance magique ou spirituelle qu'il est censé apporter. Mais pour vous ? Quels vœux le sceau est-il censé exaucer ?
Zane jeta un coup d'œil furtif à Ashley, il semblait gêné. Le prêtre remarqua l'hésitation.
— C'est pour elle que vous faites cela, n'est-ce pas ? demanda-t-il a Zane en regardant Ashley. Et pour vous, mesdames ? Qu'y a-t-il a gagner pour vous ? fit le père Gabriel à l'adresse d’Amber et Ena.
Amber parut confuse et Ena resta muette. Ashley continua d’observer le prêtre. Le moment persista peu de temps.
— Je ne le fais pas seulement pour Ashley, répondit Zane reprenant la main.
Le privé marqua une pause, il réfléchissait à la meilleure façon de formuler ses intentions :
— Si je suis venu jusque là, père Gabriel, c'est pour sauver des innocents.
— Sauver des innocents ? siffla son interlocuteur, croyez-vous qu'on puisse sauver qui que ce soit ? Chacun se sauve lui même, mon cher ! C'est comme cela que ça fonctionne.
— Vous vous trompez, mon père, le reprit fermement Zane, et je suis choqué qu'un homme tel que vous pense cela. Voyez-vous, dit-il en reprenant son calme, une guerre va éclater là-haut si nous ne ramenons pas cet anneau. Des hommes, des femmes et des enfants vont mourir d'une décision pour laquelle ils n’ont pas eu leur mot à dire. Certes, ils ne sont peut être pas tous innocents de toute faute, mais ils ne méritent pas de subir les conséquences de choix qui ne sont pas les leurs ! Et puis, continua Zane dans un souffle, Ashley est enceinte...
Le silence retomba dans la petite pièce.
— Et cela vaut-il la peine de pourrir en Enfer le reste de l'éternité ? assena le prêtre. Tout ça pour acheter quelques années d’une vie misérable à des âmes qui n'en valent sans doute pas la peine ?
— Parce qu'un prêtre en Enfer est un modèle de vertu peut-être ? demanda Ashley acerbe. Qu’est-ce qui vous donne le droit de juger la vie de gens que vous ne connaissez même pas ?
Ashley avait décollé son dos du mur et serrait les poings pour maîtriser la colère qui la gagnait.
— Père Gabriel n’est pas en cause, intervint Z, nous le sommes ! Et puis, nous ne comptons pas rester ici pour l’éternité, n’est pas ? Avec la magie et la lumière qui m’a été confié, nous sortiront de cet endroit !
— Pas moi !
Tout le monde se tourna vers Amber. Des larmes coulaient sur ses joues.
— Je resterai coincée ici à jamais !
Elle porta les mains à son visage et éclata en sanglot.
Zane la prit dans ses bras :
— Je suis désolé, chaton.
Le privé tourna la tête vers le prêtre :
— Aidez nous, je vous en prie !
Père Gabriel réfléchit quelques instants avant d’abdiquer :
— Très bien, finit-il par dire en tirant une bouffée de sa pipe, je vais vous aider. Je connais quelqu’un qui sait peut-être où se trouve la relique, mais arriver jusqu’à lui n’est pas une chose aisée et surtout, vous, fit-il en désignant Zane du bout de sa pipe, ne pouvez nous accompagner.
— Et pourquoi il ne peut pas venir ? demanda Ashley abruptement.
— Parce que, répondit le prêtre, l’homme dont je parle est un damné, prisonnier dans un tombeau enflammé !

_________________
Administrateur du forum

Abraxis, place du marché
La foule s’éclaircissait petit à petit dans les rues de Dité et la place du marché se vidait de ses clients potentiels. Abraxis jeta un regard à la toile posée à même le sol devant lui. Ce n’avait pas été un très bon jour pour lui et quasiment toute sa marchandise était encore étalée à ses pieds. Seul le collier avec une pierre rouge avait tapé dans l’œil d’une harpie. Par réflexe, il effleura la bourse de cuir attachée à son ceinturon, elle était bien trop vide. Il retenterait sa chance le lendemain. En attendant, il remballa ses affaires et forma un baluchon avec la toile. Méfiant, il s’éloigna d’un pas rapide vers sa cachette préférée en ville.

Ashley Winston	Z

Logement du père Gabriel
Le vieil homme leur avait ouvert une cellule adjacente pour que le petit groupe se repose. Ils avaient quelques heures devant eux, leur avait-il expliqué, le temps que la garde change à l’endroit où il allait emmener les trois femmes.
Ashley n’avait aucune envie de se reposer. Elle invita Zane à explorer le bâtiment qui les abritait. Ils déambulèrent quelques minutes avant de parvenir aux restes d’un cloître. Seule une partie de la galerie avait résisté aux assauts du temps, le reste n’était plus que ruines et colonnes orphelines. Un muret cylindrique, fait de pierres noires, était positionné au centre de la cour. Le couple s’approcha. Ashley se pencha légèrement mais n’aperçut rien d’autre que de la noirceur des abîmes. Elle se demanda quelle pouvait bien être la profondeur de ce puits. La jeune femme s’assit prudemment sur le rebord. Zane, lui, garda ses distances et se tint debout, face à elle.
— Tu es sûr qu’on peut lui faire confiance ? demanda-t-elle. Je n’aime pas l’idée qu’on se sépare… Et si c’était un piège pour te prendre cette grâce ?
— Moi non plus, je n’aime pas ça, mais tu l’as vu, je peux aussi utiliser ce qui m’a été confié comme une arme. Les habitants de cet endroit craignent autant la lumière qu’ils la désirent, je ne risque rien ici. À vrai dire, je m’inquiète d’avantage pour toi et ce que tu vas devoir affronter dans la place des Hérétiques. Je n’ai pas fait tout ce chemin pour que tu prennes des risques inconsidérés, mais… nous n’avons d’autre choix que de faire confiance à notre hôte.
— Je serai prudente, promis.
Ashley s’empara d’un petit caillou sur la margelle et le fit rouler doucement au creux de sa paume.
— J’ai vraiment merdé, hein ? Avec les mages…
Zane prit son inspiration :
— On ne peut pas revenir en arrière Ashley, mais on peut essayer de réparer la situation. Nous sommes en train de le faire, rajouta-t-il.
— Oui, soupira-t-elle, il faut que je répare mes conneries. Tu as vu les mages, depuis que je suis ici ? Les choses ne se sont pas vraiment passées comme prévu, mais ils savent que je remplirai ma part du marché, non ? Notre accord est toujours valable j’espère.
Le regard du privé se perdit un instant dans le passé, il serra les dents :
— Je me suis assuré que l’accord tienne toujours. Cela n’a pas été des plus facile, mais le deal reste d’actualité… À moins, qu’ils décident de nous trahir, auquel cas…
Ashley se leva et fit un pas vers son compagnon :
— N’essaie pas de m’épargner, Zane. Qu’est-ce qu’il s’est passé avec eux ?
Z se détourna et fit un pas qui l’éloigna d’Ash.
— Ils ont dit que maintenir ton corps en stase leur coûtait beaucoup d’énergie…
— Je vois. Il faut qu’on trouve rapidement ce sceau alors. Il n’y a plus qu’à espérer que le prisonnier dont nous a parlé le père Gabriel nous donne de bonnes infos.
Ashley retourna près du puits et posa ses mains sur les pierres froides. Une peur immense s’empara d’elle.
— Il faudra que tu l’empêches de finir ici… cet endroit est monstrueux, dit-elle d’une voix étranglée.
— De qui parles tu ? demanda Zane.
— Notre enfant. Tu devras l’élever correctement, pour qu’il ne finisse pas ici.
— Un pas après l’autre, mon amour. Nous devrions commencer par nous sauver nous-même, qu’en penses-tu ? Qu’y a-t-il Ashley ? Que signifie ta dernière phrase ?
Elle se tourna et fixa Zane dans les yeux :
— Je… Je ne connaîtrai pas notre bébé. Je mourrai en le mettant au monde.
— Que dis-tu là ? s'inquiéta Z.
— Le métro m’a donné une vision… Je hurlais de douleur, il y avait beaucoup de sang. J’ai juste le temps d’entendre son cri avant de sombrer dans le néant, expliqua-t-elle la voix étranglée.
— Le métro… Il n’a aucun pouvoir Ashley, sinon de se nourrir de nos peurs et de nos bas instincts. Crois-moi, il ne t’arrivera rien de tout cela. Nous rentrerons tous les deux et nous l’élèverons dans l’amour et la joie.
— Comment peux-tu en être si sûr ? C’était tellement… réel.
— Nous n’avons pas traversé toutes ces épreuves pour être ébranlés par une vision ! Aie foi en nous, Ashley, ne doute pas maintenant… Sinon, ils auront gagné.
La jeune femme hocha légèrement la tête :
— Je vais essayer. J’ai tellement hâte de quitter cet endroit maudit.

Ena Hostblad	Amber

Amber et Ena
Dans la pièce voisine de la chambre du père Gabriel, le confort était encore plus sommaire. Un tas de paille à l’odeur moisie devait servir de lit au précédent locataire. Une table cernée de deux bancs en bois constituait le seul mobilier du lieu. Ena et Amber se faisaient face. La fée parcourut rapidement la chambre des yeux :
— Une chose est sûre, c’est pas le Carlton ici !
— C’est vrai ce qu’il a dit ?
— Qui ça et quoi donc, ma chère ?
— Qu’elle est enceinte de lui ?
— Oh, ça… J’en ai bien peur. Je suis désolée, ça ne doit pas…
— J’ai pas besoin de ta pitié ! lança Amber en haussant le ton.
Elle se leva brusquement et fit quelques allers-retours dans la petite pièce avant de se figer face à un mur recouvert de toiles d’araignées. Elle regrettait maintenant d’avoir été si dure avec Zane. À la disparition de leur fils, elle avait été incapable de faire face à la culpabilité et à la colère qu’elle éprouvait. Elle avait eu besoin d’un bouc émissaire et son mari avait été le parfait candidat. Elle avait été odieuse avec lui, mais elle se rendait compte à l’instant qu’elle l’aimait toujours. Si seulement elle pouvait avoir une chance de rattraper tout ça... C’était elle qui aurait dû être enceinte, pas cette créature ! Jason aurait été si heureux d’avoir un petit frère ou une petite sœur...
La fée s’approcha d’elle et parla d’une voix douce :
— Il faut que tu l’acceptes : tu es morte. Mets-toi à sa place… Il a le droit de refaire sa vie, aussi difficile que ce soit pour toi.

“Mets-toi à sa place”. Et si c’était possible ? se demanda Amber. Elle se tourna vers la fée et acquiesça de la tête. Son regard, lui, était empli d’espoir. C’est ce que capta Ashley lorsqu’elle entra dans la pièce suivie de Zane. Était-ce parce que le père Gabriel avait accepté de les aider ? Amber n’était pas réellement concernée par la mission qu’ils devaient remplir ici. La louve s’installa à la table, face à Zane afin de limiter son envie de contact.
— Nous devons discuter de quelques sujets tous les quatre, commença-t-elle.
Ena s’assit à ses côtés tandis qu’Amber prenait place auprès de son mari. Ashley poursuivit en la fixant :
— On ne peut pas t’abandonner ici.
Ash sentit le regard interrogateur de ses compagnons.
— On sait tous que vous ne pouvez pas me ramener, siffla Amber.
— C’est vrai, mais on peut t’escorter au delà des cercles, vers les Champs Elysées, ou le Paradis, son nom varie…
Elle risqua un regard vers Zane. L’idée lui était venue à l’instant. Ils n’avaient pas eu l’occasion d’échanger sur l’ex-femme du privé, mais s’il l’avait tirée de son supplice, il n’allait sûrement pas l’abandonner au beau milieu de l’Enfer.
— Si c'était aussi facile d'échapper à cet endroit, il serait vide à présent. N'est-ce pas ? demanda Zane.
— Les condamnations de Minos ne sont pas toujours pour l'éternité, expliqua Ena. Ta femme n'est pas une criminelle, elle aurait fini par aller là-bas de toute façon. Reste à savoir la durée de sa pénitence.
La fée se tourna vers l'intéressée qui semblait désolée.
— Je… je ne me rappelle plus. J'étais tellement effrayée…
— Mon ex-femme, corrigea Zane. Par ailleurs, ne confondez-vous pas Enfer et purgatoire ? reprit-il.
Ena claqua la langue agacée :
— J'ai été enfermée dans les cellules de Minos un bon bout de temps. Les humains ont voulu se rassurer en se disant que si leurs péchés n’étaient pas trop graves, ils échapperaient à cet Enfer, mais personne n'y échappe, on y reste juste plus ou moins longtemps.
— OK, donc si Amber reste cachée jusqu'à la fin de sa pénitence, réfléchit la chef de meute, elle devrait pouvoir aller là-bas sans souci, non ?
— En théorie, oui, répondit Ena. Son ami le prêtre devrait pouvoir confirmer.
— Ce n'est pas mon ami, corrigea Zane, mais on peut lui demander…
Ashley prit une inspiration avant de reprendre :
— Bon, et maintenant, comment est-ce qu’on ramène Ena dans son corps ?
— En effet, il ne faudrait pas m’oublier en chemin.
Ash accrocha les yeux noisette de son compagnon. C’était un peu étrange de retrouver son regard intact, sans la cicatrice qui lui barrait l’oeil gauche.
— Comment tu as prévu de nous ramener ? lui demanda-t-elle.
— Les Von Sterling ont ouvert un nouveau portail, expliqua Zane. Lorsque nous le traverserons, nous réintégrerons nos corps. Mais sans corps disponible, je ne pense pas qu’il soit possible de passer. Je suis navré.
— Mais, balbutia Ena en se tournant vers Ashley, tu as promis.
— Ashley a parfois tendance à... prendre des engagements hâtifs, expliqua le privé. Mais c’est toujours pour aider les autres et c’est tout à ton honneur, s’empressa-t-il d’ajouter face au regard noir de la jeune femme.
À ses côtés, la respiration d'Amber s’accélèra sensiblement. Elle ne supportait pas de voir son mari se laisser faire ainsi par cette gamine.
— On va trouver une solution, affirma Ashley en prenant la main de la fée dans la sienne. Je te le promets.
Zane se retint de lever les yeux au ciel. Pourquoi fallait-il toujours qu’elle s’engage dans des causes désespérées ?
— Ashley, s’agaça Z, faut-il toujours que tu fasses des promesses que d'autres devront assumer ?
Il détourna le regard. Il n'y avait pas de colère dans sa voix, plutôt une immense lassitude.
On frappa à la porte. Le père Gabriel ouvrit sans attendre de réponse :
— C’est l’heure, mesdames.
Amber et Ena suivirent aussitôt le vieil homme. La louve se releva lentement.
— Désolée d'être une telle plaie pour toi, lâcha Ashley en quittant la pièce.
Elle claqua la porte derrière elle, laissant Zane seul avec son inquiétude. Une fois en tête à tête avec lui-même, il dit tout bas :
— Tu n'as pas idée à quel point, Ashley ! Et bien sûr, tout est de ma faute…
Z se leva et déambula dans l'immense monastère.

Ashley Winston	Ena Hostblad	Amber	Père Gabriel

Place des hérétiques
Le père Gabriel emmenait les trois femmes d’un pas vif. Piquée par la curiosité, Ashley oublia pour quelques instants la remarque de Zane et vint se placer aux côtés du vieil homme :
— Allez-vous nous dire qui est cet homme qui pourra nous aider ?
— Un homme ? Je n’ai jamais parlé d’un homme. Eosphoros est un démon, suffisamment ancien pour connaître l’artefact que vous recherchez.
— Et comment vous le connaissez ?
L’homme se tendit légèrement, inspira profondément avant de répondre :
— Lui et moi avons un passif. Nous y sommes bientôt, annonça-t-il pour couper court aux questions. Je me charge des gardiennes, vous irez directement à son tombeau. Je vous préviens, il n’est pas du genre charitable. S’il peut vous aider, ce ne sera pas gratuit.
La louve ne parvenait décidément pas à comprendre pourquoi Zane avait une telle confiance en ce type. Il éludait trop de questions pour n'avoir rien à se reprocher.
Une odeur de chair brûlée envahissait petit à petit l’air ambiant. Le prêtre les fit tourner à droite à l’angle d’une ruelle, Ashley aperçut alors l’immense place des hérétiques qu’ils avaient traversé plus tôt. Des tombeaux creusés suffisamment profonds pour que les condamnés ne puissent rien voir d’autre que les flammes vertes et la fumée qui consumaient leurs âmes. Ceux qui tentaient de s’en échapper étaient sanctionnés d’un coup de fouet cinglant.
— Vous voyez les trois arches de l’autre côté de la place ? Le tombeau se trouve à trois rangées, pile au milieu. Attendez que cette gardienne s’éloigne avant de vous avancer, ordonna-t-il aux trois femmes.
— Vous êtes sûr qu’on ne risque rien ? demanda Amber hésitante.
— Faites ce que je vous ai dit et tout ira bien, lui assura le religieux. Vous n’aurez que peu de temps, les prévint-il. Tysiph n’aime pas qu’on approche ses prisonniers.
— Tysiph ? l’interrogea Ena.
— La responsable des Erinyes, dit-il en désignant l’une des femmes ailées à la chevelure faite de serpents.
Le père Gabriel échangea un regard avec Ashley avant de s’éloigner. Ena prit la main de la chef de meute et la serra fort dans la sienne. La louve détacha un instant son regard de la place. La fée tentait de faire bonne figure, mais elle n’était clairement pas rassurée d’être ici. À ses côtés, Amber regardait le père Gabriel se diriger droit vers l’une des gardiennes.
Lorsqu’elle aperçut le père Gabriel, Tysiph serra les mâchoires. Les serpents qui encadraient son visage hideux se mirent à siffler de concert. Ce vieux fou n’abandonnerait donc jamais ?
Dès que la gardienne quitta son poste, Ashley s’avança, entraînant avec elle ses deux comparses. Elles slalomèrent entre les tombeaux d'où s’élevaient les hurlements des suppliciés. Ceux qui s’aperçevaient de leur présence leur demandaient grâce ou les insultaient de se repaître du spectacle de leur tourment. Elles arrivèrent devant le tombeau indiqué par le père Gabriel et s’arrêtèrent à bonne distance.
Ashley se pencha légèrement et aperçut le démon au fond du trou. Il avait son apparence humaine, seuls ses yeux, rouge flamboyant, trahissaient sa véritable nature. L’homme se tordait de douleur, la peau couvertes de cloques et de brûlures qui ne cessaient d’apparaître et disparaître au rythme de la danse des flammes. Il posa son regard incendiaire sur Ashley. La louve en elle voulut reculer, la jeune femme résista.
— Le spectacle vous ravit-il ? demanda l’homme d’une voix rauque.
— Pas spécialement, confessa-t-elle. Vous êtes bien Eosphoros ?
— On m’a nommé ainsi, il y a bien longtemps.
— Une de vos connaissances nous a dit que vous pourriez peut-être nous aider.
La louve perçut la lueur d'intérêt qui avait allumé le regard de l’homme.
— Voyez où je suis, dit-il en écartant les bras de façon théâtrale. Quelle genre d’aide pourrais-je vous apporter ?
— Je recherche un objet ancien : le Sceau de Salomon.
Le démon plissa les yeux et détailla la chef de meute de la tête aux pieds.

Amber, elle, se demandait ce qu’elle faisait ici à aider la nouvelle copine de son mari.
— Quelle ironie du sort ! s’exclama une voix grave qui la fit sursauter. À côté d’elle, Ena et Ashley ne semblaient pas réagir. Était-ce dans sa tête ? Devenait-elle folle ?
— Votre fils est enfin retrouvé et vous perdez la vie au même moment, poursuivit la voix.
— Qui êtes-vous ? demanda Amber apeurée.
— Regardez au fond du trou.
La femme fit un pas en avant et baissa le regard vers les flammes. Elle croisa le regard du démon un court instant avant qu’il ne se tourne à nouveau vers la chef de meute.

— Pourquoi vous aiderais-je à mettre la main sur un artefact aussi puissant ? demanda-t-il à Ashley d’une voix profonde. Il est certains pouvoirs à ne pas mettre entre toutes les mains… Qu’est-ce qu’une louve, une fée et une humaine en ferait ?
Ena s’approcha du tombeau, curieuse de voir celui qui avait tant de prestance malgré sa situation.

La voix retentit dans la tête de la fée dès que les yeux rougeoyants du démon se posèrent sur elle :
— Malgré toutes les belles promesses de la louve, que ferez-vous si votre âme reste coincée ici ? demanda-t-il.
— Comment savez-vous ?
— Cela importe peu. Laisserez-vous Audrica s’en sortir de la sorte ?

Ashley s’éclaircit la voix avant de répondre au démon :
— Elles m’accompagnent et m’aident dans ma quête. Quant à moi, je ne souhaite pas retrouver le Sceau pour mon bénéfice personnel, se justifia Ash, et je compte m’assurer qu’il ne soit pas non plus utilisé par ceux qui le convoitent.

— Comment est-ce que vous… commença Amber hésitante.
— Elle n’est pas spécialement jolie, mais je vois ce qu’il lui trouve, la coupa le démon. Le côté sauvage derrière cette fragilité apparente, ça a son charme.
Amber se mit à bouillir de colère lorsqu'elle comprit de qui il parlait.
— Pourquoi vous me dites tout ça ? s’énerva-t-elle.
— Je ne peux pas vous ramener d’entre les morts, mais vous pouvez devenir elle.


Ena se sentit vulnérable car à cet instant, elle sut qu’il avait lu en elle. Toute cette haine qui la consumait depuis qu’elle était dans cet enfer, elle n’avait pas réussi à la dépasser. Elle avait bien essayé, se disant que ce sentiment n’était pas digne de son rang… Et pourtant :
— Je veux qu’elle paie pour tout ce qu’elle m’a fait subir et plus encore ! Il faut qu’elle souffre !

Un tourbillon de flammes se forma dans le tombeau. L'homme ne put retenir un cri déchirant lorsque de nouvelles cloques apparurent sur sa peau.

— Devenir elle ? s’étonna Amber. Comment ça ?
— N’essayez pas de me duper ! tonna le démon alors qu’il poussait un hurlement depuis son tombeau.

— Comment voulez-vous que je vous aide, en étant coincé ici ? souffla-t-il lorsqu'il fut à nouveau en état de parler à Ashley.

— C’est votre idée, Amber, reprit-il d’une voix plus posée, je peux juste vous donner les moyens de réussir.
— Que dois-je faire ? demanda-t-elle quelque peu honteuse.

Le désespoir envahit soudain Ashley :
— Vous ne vous attendez quand même pas à ce qu’on vous sorte de là ?
Elle jeta un coup d’oeil inquiet vers le père Gabriel, à l’autre bout de la place. Il était pris dans une discussion agitée avec deux gardiennes qui commençaient à le faire reculer.
— Avec elles, impossible !
— Elles sont coriaces, mais pas invincibles, la rassura le démon.
— Et après ? Si par miracle on vous libère de ce tombeau, comment on retrouve le Sceau ?
— J’ai une idée de son emplacement. Aidez-moi, et il sera à vous.

La fée tentait de retrouver son calme mais avait du mal à se concentrer sur les échanges entre Ashley et le démon.
— Votre corps n’est plus disponible, poursuivit ce dernier. Malgré toute sa bonne volonté, la louve risque d’échouer, mais je vous promets une chose, si vous me sortez de là, les supplices des neufs cercles ne seront rien à côté de ce qu’Audrica subira...

Ashley ne voulait pas s’engager sans en parler avec Zane. Pour une fois, il ne pourrait pas lui reprocher d’avoir pris une décision trop hâtive.
— J’ai besoin de temps.
— J’ai toute l’éternité, répliqua Eosphoros dans un sourire grimaçant.

Un frisson de peur mêlée d'excitation descendit le long de la colonne vertébrale d’Amber lorsque la voix retentit à nouveau dans sa tête :
— Sortez-moi de là, et votre famille sera à nouveau réunie...

— Hé vous ! Circulez ! ordonna Tysiph d’un ton sec lorsqu’elle aperçut le trio près du tombeau.
Les trois femmes se hâtaient de quitter les lieux lorsque la louve entendit une voix masculine résonner en elle.
— Aide-moi, Ashley, pour sauver ton père !
Elle se retourna vers le tombeau. Les yeux flamboyants du démon étaient fixés sur elle. Il poussa un nouveau hurlement de douleur qui donna la chair de poule à la jeune femme. Ena la tira par le bras, pressée de retourner à l’abri des ruines du monastère.